Maurice, Vouzon.
MAURICE (étonné)
Que va-t-elle faire ?
VOUZON
Je n'en sais rien… mais je suis tranquille… elle fera quelque chose de bien… quelque chose que tu ne ferais pas, toi.
MAURICE
Pourquoi donc ?
VOUZON
Parce qu'elle a là… un petit ressort qu'on appelle le cœur… et qui est en bien mauvais état chez toi.
MAURICE
Mais je ne vois pas…
VOUZON
Il y a bien d'autres choses que tu ne vois pas… As-tu jamais considéré cette enfant ?
MAURICE
Ma cousine ?
VOUZON
Oui… As-tu regardé ses yeux quand ils se reposent sur toi ? as-tu senti frémir sa main quand tu la prends dans la tienne ?
MAURICE (étonné)
Comment ?
VOUZON
Elle t'aime !
MAURICE
Céline ?
VOUZON
Elle te croit grand, noble, généreux… enfin tu es son roman… Pauvre fille !
MAURICE
Ah ! mon Dieu !… ce que vous me dites là… En effet… il me semble me souvenir…
VOUZON
Ah ! c'est bien heureux !… mais l'amour !… qu'est-ce que cela te fait ?… C'était bon de notre temps… aujourd'hui, vous avez remplacé ça par le Saragosse !
MAURICE
Ah ! vous allez recommencer ?
VOUZON
J'en aurais le droit… car j'en ai gros sur le cœur… Tu t'es moqué de moi et de mes roucoulades… Eh bien, je ne donnerais pas ma jeunesse pour la tienne… Oh ! nous étions bien ridicules, bien chauvins ! nous chantions l'amour, la gloire…
MAURICE (ironiquement)
Le vin !
VOUZON
Pourquoi pas ?… quand il est bon… Enfin, nous chantions tout ce qui était beau, tout ce qui ôtait grand, tout ce qui était jeune… Nous chantions même la liberté… quand ce n'était pas indiscret.
MAURICE
Chacun son opinion…
VOUZON
Nous croyions à l'amitié… au désintéressement.
MAURICE (ironiquement)
Le désintéressement !
VOUZON
Oui, cela te fait rire ! Ah ! si ton pauvre père…
MAURICE
Mon père !…
VOUZON
À peine si tu l'as connu… Quel cœur !… quel ami !… Nous avons étudié la médecine ensemble… nous avons eu la même jeunesse… et une fière jeunesse !… Jamais le sou !… toujours gais !… Mais nous nous aimions… C'était à qui mettrait sa montre au mont-de-piété pour retirer celle de l'autre… Un jour, ton père hérita de cinquante mille francs… Il aimait une belle jeune fille, ta mère… et, grâce à cette petite fortune, il allait l'épouser… La veille de la signature du contrat, il apprit que mon père… un pauvre fermier… venait d'être incendié… ruiné…
MAURICE
Il n'était donc pas assuré ?
VOUZON
Probablement… À la place de ton père, qu'aurais-tu fait, toi ?…
MAURICE (hésitant)
Dame… je…
VOUZON
Il n'hésita pas, lui… Il se rappela que, dans ses jours de misère, il avait souvent partagé le pain que m'envoyait mon père… Il partit… sans rien me dire… et obligea le pauvre vieillard à accepter vingt-cinq mille francs qui le sauvèrent… Puis il dit à la famille de ta mère : "Voilà ce que j'ai fait… ma dot est réduite de moitié… Si vous ne m'acceptiez que pour elle, reprenez votre parole… Si, au contraire, vous avez confiance en moi, en mon avenir… vingt-cinq mille francs de plus ou de moins ne m'empêcheront pas de faire le bonheur de votre fille…" Ta mère lui tendit la main et voulut être de moitié dans son sacrifice… Le mariage se fit… Ah dame ! on ne mit pas de diamants dans la corbeille… mais ils vinrent plus tard… peu à peu… tantôt une bague… tantôt un bracelet… aux jours de fête… et selon que l'année avait été bonne… Les diamants des honnêtes femmes se forment goutte à goutte… comme le pur cristal… Je pus enfin, grâce à mes visites à trois francs, rendre à ton père et à ta mère la somme qu'ils avaient avancée… mais je n'ai jamais oublié que je leur devais le bonheur… peut-être la vie de mon père. Voilà ce qu'ils firent, mon pauvre enfant, ce qu'on faisait de notre temps… et ce que tu ne feras jamais…
MAURICE (ému)
Docteur !
VOUZON (avec ironie)
L'amitié !… le désintéressement !… Allons donc !… des phrases !… L'argent !
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...