ACTE II - Scène 2


Sganarelle
Ne perdons point de temps. C'est ici : qui va là ?
Bon, je rêve : holà ! Dis-je, holà, quelqu'un ! Holà !
Je ne m'étonne pas, après cette lumière,
S'il y venait tantôt de si douce manière ;
Mais je veux me hâter, et de son fol espoir…
Peste soit du gros boeuf, qui pour me faire choir
Se vient devant mes pas planter comme une perche !

Valère
Monsieur, j'ai du regret…

Sganarelle
Ah ! C'est vous que je cherche.

Valère
Moi, monsieur ?

Sganarelle
Vous. Valère est-il pas votre nom ?

Valère
Oui.

Sganarelle
Je viens vous parler, si vous le trouvez bon.

Valère
Puis-je être assez heureux pour vous rendre service ?

Sganarelle
Non. Mais je prétends, moi, vous rendre un bon office,
Et c'est ce qui chez vous prend droit de m'amener.

Valère
Chez moi, monsieur ?

Sganarelle
Chez vous : faut-il tant s'étonner ?

Valère
J'en ai bien du sujet, et mon âme ravie
De l'honneur…

Sganarelle
Laissons là cet honneur, je vous prie.

Valère
Voulez-vous pas entrer ?

Sganarelle
Il n'en est pas besoin.

Valère
Monsieur, de grâce.

Sganarelle
Non, je n'irai pas plus loin.

Valère
Tant que vous serez là, je ne puis vous entendre.

Sganarelle
Moi, je n'en veux bouger.

Valère
Eh bien ! Il se faut rendre.
Vite, puisque monsieur à cela se résout,
Donnez un siége ici.

Sganarelle
Je veux parler debout.

Valère
Vous souffrir de la sorte ?…

Sganarelle
Ah ! Contrainte effroyable !

Valère
Cette incivilité serait trop condamnable.

Sganarelle
C'en est une que rien ne saurait égaler,
De n'ouïr pas les gens qui veulent nous parler.

Valère
Je vous obéis donc.

Sganarelle
Vous ne sauriez mieux faire.
Tant de cérémonie est fort peu nécessaire.
Voulez-vous m'écouter ?

Valère
Sans doute, et de grand coeur.

Sganarelle
Savez-vous, dites-moi, que je suis le tuteur
D'une fille assez jeune et passablement belle,
Qui loge en ce quartier, et qu'on nomme Isabelle ?

Valère
Oui.

Sganarelle
Si vous le savez, je ne vous l'apprends pas.
Mais, savez-vous aussi, lui trouvant des appas,
qu'autrement qu'en tuteur sa personne me touche,
et qu'elle est destinée à l'honneur de ma couche ?

Valère
Non.

Sganarelle
Je vous l'apprends donc, et qu'il est à propos
Que vos feux, s'il vous plaît, la laissent en repos.

Valère
Qui ? Moi, monsieur ?

Sganarelle
Oui, vous. Mettons bas toute feinte.

Valère
Qui vous a dit que j'ai pour elle l'âme atteinte ?

Sganarelle
Des gens à qui l'on peut donner quelque crédit.

Valère
Mais encore ?

Sganarelle
Elle-même.

Valère
Elle ?

Sganarelle
Elle. Est-ce assez dit ?
Comme une fille honnête, et qui m'aime d'enfance,
Elle vient de m'en faire entière confidence ;
Et de plus m'a chargé de vous donner avis
Que depuis que par vous tous ses pas sont suivis,
Son coeur, qu'avec excès votre poursuite outrage,
N'a que trop de vos yeux entendu le langage,
Que vos secrets desirs lui sont assez connus,
Et que c'est vous donner des soucis superflus
De vouloir davantage expliquer une flamme
Qui choque l'amitié que me garde son âme.

Valère
C'est elle, dites-vous, qui de sa part vous fait… ?

Sganarelle
Oui, vous venir donner cet avis franc et net,
Et qu'ayant vu l'ardeur dont votre âme est blessée,
Elle vous eût plus tôt fait savoir sa pensée,
Si son coeur avait eu, dans son émotion,
À qui pouvoir donner cette commission ;
Mais qu'enfin les douleurs d'une contrainte extrême
L'ont réduite à vouloir se servir de moi-même,
Pour vous rendre averti, comme je vous ai dit,
Qu'à tout autre que moi son coeur est interdit,
Que vous avez assez joué de la prunelle,
Et que, si vous avez tant soit peu de cervelle,
Vous prendrez d'autres soins. Adieu jusqu'au revoir.
Voilà ce que j'avais à vous faire savoir.

Valère
Ergaste, que dis-tu d'une telle aventure ?

Sganarelle
Le voilà bien surpris !

Ergaste
(à part.)

Selon ma conjecture,
Je tiens qu'elle n'a rien de déplaisant pour vous,
Qu'un mystère assez fin est caché là-dessous,
Et qu'enfin cet avis n'est pas d'une personne
Qui veuille voir cesser l'amour qu'elle vous donne.

Sganarelle
(à part.)

Il en tient comme il faut.

Valère
Tu crois mystérieux…

Ergaste
Oui… Mais il nous observe, ôtons-nous de ses yeux.

Sganarelle
Que sa confusion paroît sur son visage !
Il ne s'attendait pas sans doute à ce message.
Appelons Isabelle. Elle montre le fruit
Que l'éducation dans une âme produit
La vertu fait ses soins, et son coeur s'y consomme
Jusques à s'offenser des seuls regards d'un homme.

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