ACTE II - Scène V



(Patrocle, Lydie)


LYDIE
Voilà donc votre amour ! C'est là cette tendresse
Que vous me promettiez, après qu'on m'eut ôté
Biens et sceptre, enfin tout, jusqu'à la liberté ?
Quand Achille s'en vint désoler notre terre,
Si quelqu'un signala son nom dans cette guerre,
Ce fut vous. L'oserai-je à ma honte avouer ?
Je cherchai dans mes maux matière à vous louer.
Aux dépens de mon cœur vous vous fîtes connaître
Ce me fut un plaisir de vous avoir pour maître,
Je ne regrettai point ce que j'avais perdu.
Je l'aurais refusé, si l'on me l'eût rendu.
Et vous, cruel, et vous, pour toute récompense,
Vous mettez avec moi votre gloire en balance !
Vous ne l'y mettez point ; j'ai pour vous moins d'appas ;
Cependant on a vu que je n'en manque pas'
Avant que d'être ici comme esclave emmenée,
Les monarques voisins briguaient mon hyménée ;
Tous me vinrent offrir leur aide en mes malheurs.
Je les vis tous périr, sans leur donner des pleurs ;
Je fis des vœux pour vous, ingrat, contre moi-même.

PATROCLE
Que ces rois sont heureux ! mourir pour ce qu'on aime !
Mériter doublement de vivre en l'avenir !

LYDIE
Je vous demande moins, et ne puis l'obtenir.
Ne me préférez plus un fantôme de gloire ;
Après m'avoir conquise, est-il quelque victoire
Qu'un cœur ambitieux ne doive dédaigner ?
Ne vous suffit-il pas d'avoir su me gagner ?
Considérez l'état où je serais réduite,
Si ce combat avait une funeste suite.

PATROCLE
Achille vous serait toujours un protecteur.

LYDIE
Achille est de mes maux le principal auteur ;
Et vous, par ce discours vous offensez Lydie
Qu'ai-je besoin, sans vous, de conserver ma vie ?
Si le destin me veut à ce point affliger,
Les enfers me sauront contre tous protéger.

PATROCLE
Madame, au nom des dieux, cessez de me confondre.
Voici ce que je puis en deux mots vous répondre :
Plût aux dieux qu'il fallût mettre mon sang pour vous !
Le trépas n'aurait rien qui ne me semblât doux.
Mille fois en un jour demandez-moi ma vie,
Vous serez avec joie aussitôt obéie :
Je ne préfère point ma gloire à vos attraits ;
Du déshonneur, sans plus, j'appréhende les traits
Vous y devez pour moi vous-même être sensible.
On s'en va renverser ce mur inaccessible :
Verrai-je, pour un jour, tous mes jours diffamés ?
Vous me haïriez lors autant que vous m'aimez
Quand vous le souffririez, je me dois satisfaire.

LYDIE
Va, de tels sentiments ne me sauraient déplaire.
J'ai voulu t'émouvoir ; mais, si je l'avais fait,
Je m'en applaudirais peut-être avec regret.
Rien ne presse : jouis encor de ma présence,
Tes projets sont remplis de trop d'impatience
Je te laisse à l'honneur sacrifier ce jour :
Mais tu me dois aussi quelques moments d'amour.
Voyant entrer.
Le Ciel nous les envie ; Arbate te vient dire
Que tout est prêt, que tout à ta gloire conspire ;
Peut-être à mon malheur.

PATROCLE
Madame, espérons mieux.

LYDIE
Avant que de courir à ces funestes lieux,
Approche, et tends la main ; celle-ci t'est donnée
Pour gage des douceurs d'un fidèle hyménée.
Te voici mien, Patrocle, et tu n'es plus à toi
Sois avare d'un sang que je prétends à moi.
J'entends déjà le bruit des premières alarmes
Allons, mes propres mains te vêtiront tes armes.
Promets-moi, tout au moins, de modérer ton cœur.

PATROCLE
Je vous promets de vaincre, après cette faveur.

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