ACTE II - Scène I



(Phoenix, Achille)


PHOENIX
Dois-je croire, Seigneur, qu'Ulysse ait vainement
Essayé d'adoucir votre ressentiment ?
On dit plus : vous partez, votre flotte nous quitte.
Les Grecs n'ont, après tout, rien fait qui le mérite.
Mais vos amis ! mais moi ! car Phoenix en ceci
Prétend avoir à part ses intérêts aussi.
Je vous ai dans mes bras porté dès votre enfance.
Quand vous eûtes passé ce temps plein d'innocence,
Une jeunesse ardente exigeait d'autres soins ;
Je les pris ; avec fruit : vos faits en sont témoins.
Le succès de ces soins devrait, en récompense,
Donner à mes conseils chez vous plus de créance ;
C'est le prix que j'en veux. Peut-être vous croyez
Par quelque amour pour moi me les avoir payés.
Il est vrai, vous m'aimiez pendant votre jeune âge
Aujourd'hui j'en demande un nouveau témoignage.
Ceux que vous m'en donniez, quand d'un air gracieux,
Enfant, vous ne tourniez que sur moi seul vos yeux,
Ceux que j'en recevais, lorsque votre jeunesse,
En ne me cachant rien, me comblait d'allégresse,
Ne me suffisent pas aujourd'hui que je vois
De ce fatal courroux les Grecs se prendre à moi.
"Que ne lui donnait-il une humeur moins farouche ?"
Voilà ce que l'on dit d'une commune bouche ;
Et de tous les malheurs prêts à tomber sur nous,
C'est votre gouverneur qu'on accuse, et non vous.

ACHILLE
Je n'ai point oublié vos soins ni votre zèle
J'en conserve dans l'âme un souvenir fidèle ;
Mais ne prétendez pas que, contre mon honneur,
L'amour que j'ai pour vous me fléchisse le cœur.
Si vous en attendiez de pareils témoignages,
Vous deviez m'enseigner à souffrir les outrages.
L'avez-vous fait ?

PHOENIX
Seigneur, j'ai fait ce que j'ai dû ;
Et vous n'avez que trop à mes vœux répondu.
J'approuve la fierté ; mais enfin, les injures
Se peuvent réparer : elles ont leurs mesures.

ACHILLE
Un cœur comme le mien ne leur en peut donner.

PHOENIX
Il le doit : la grandeur consiste à pardonner ;
Jamais ce sentiment n'a de gloire flétrie.
Je ne vous voulais point alléguer la patrie,
Me flattant d'un crédit que je devrais avoir,
Et voulant sur votre âme essayer mon pouvoir ;
Je dédaignais aussi les adresses d'Ulysse,
Honteux qu'il nous fallût employer l'artifice.
Sans ce secours les Grecs vous parlent par ma voix
Nous venons, disent-ils, implorer vos exploits,
Seigneur ; ils nous sont dus, et nos propres exemples
Ont accru la valeur qui vous promet des temples.

ACHILLE
Je ne dois qu'à vous seul. En vain devant les yeux
On me met du public l'intérêt spécieux.
Comme si Sparte était la Grèce tout entière !
Les lieux où Ménélas a reçu la lumière,
Ceux encore où l'on voit ces frères obéis,
Ont eu part à l'outrage, et non point mon pays.
Cependant j'accourus pour eux à cette guerre ;
Pour eux je vins chercher la mort en cette terre,
Je n'avais nul sujet de haïr les Troyens :
Pâris m'a-t-il ravi mes amours ni mes biens ?
Agamemnon l'a fait ; c'est Argos, c'est Mycène,
Qui devraient ressentir les effets de ma haine.
Laissons-les : leur monarque est encor trop heureux
Que je n'apporte ici nul obstacle à ses vœux.
A l'entour de ces murs je vous laisse combattre ;
Les dieux les ont bâtis ; nous voulons les abattre !

PHOENIX
Ces mêmes dieux les ont à périr condamnés.
Et puis, cette raison qu'à tort vous me donnez,
S'il faut vous en parler sans que l'on dissimule,
Dans le cœur des humains jette peu de scrupule.
Enfin, quand ces raisons ne vous pourraient toucher,
Songez au long repos qu'on peut vous reprocher.
Lorsque chacun de nous à l'envi se signale,
Que les soldats ont même une ardeur sans égale,
Achille est dans sa tente, et donne à Briséis
Les moments qu'il devrait donner à son pays.

ACHILLE
Phoenix, je vous arrête ; on sait quel est Achille.
Qu'il aime, et qu'en sa tente il demeure tranquille,
Tout est égal ; j'ai trop établi mon renom :
Je l'étendrai plus loin. Je veux qu'Agamemnon
Me satisfasse enfin, non point par des paroles ;
Ses excuses, ses dons, ses offres sont frivoles.
Aussitôt qu'Ilion sera pris ou laissé,
Il verra ce que c'est de m'avoir offensé.
Que tous vos chefs unis embrassent sa défense,
J'en ferai d'autant plus éclater ma vengeance.
Quiconque entreprendra d'entrer dans nos débats
Attirera sur soi ma colère et mon bras.

PHOENIX
Qu'entends-je ? à quel excès monte votre colère !
Vous ! attaquer la Grèce ! une seconde mère !
O Destins ! quels forfaits ont mérité ces maux ?
Nous rejetterez-vous en d'éternels travaux ?
Bienheureux Ilion, nous te portons envie :
Tu ne vois point les tiens déchirer leur patrie.
Puisse Phoenix mourir, dès qu'on t'aura vaincu !
Après ce que j'entends, Seigneur, j'ai trop vécu.
Je m'en retourne au camp.

ACHILLE
Quoi ! si tôt ? Ah ! mon père,
Avez-vous en horreur un fils qui vous révère ?
Je pars demain, venez honorer notre cour.
Accordez-moi, du moins, le reste de ce jour.
A l'entour de ces murs tout est calme et tranquille ;
Je n'entends aucun bruit au camp, ni dans la ville
L'aurore est avancée ; Hector eût pris ce temps,
S'il eût voulu sortir avec ses combattants.
Aux fatigues de Mars donnez quelque relâche ;
Demain vous reprendrez cette pénible tâche…
Mais que nous veut Patrocle ? Il accourt…

Autres textes de Jean de La Fontaine

L'abbesse

L’exemple sert, l’exemple nuit aussi :Lequel des deux doit l’emporter icy,Ce n’est mon fait : l’un dira que l’AbbesseEn usa bien, l’autre au contraire mal,Selon les gens : bien ou...

Le Berceau

Non loin de Rome un Hostelier estoit,Sur le chemin qui conduit à Florence :Homme sans bruit, et qui ne se piquoitDe recevoir gens de grosse dépense :Mesme chez luy rarement...

Élégie aux nymphes de Vaux

Pour M. Fouquet. Remplissez l’air de cris en vos grottes profondes ;Pleurez, Nymphes de Vaux, faites croître vos ondes,Et que l’Anqueuil enflé ravage les trésorsDont les regards de Flore ont...

Adonis

A MONSEIGNEUR FOUCQUETMinistre d’Estat, Sur-Intendant des Finances, et Procureur Général au Parlement de ParisMONSEIGNEUR,Je n’ay pas assez de vanité pour esperer que ces fruits de ma solitude vous puissent plaire...

Livre XII des Fables de La Fontaine

Monseigneur,Je ne puis employer, pour mes fables, de protection qui me soit plus glorieuse que la vôtre. Ce goût exquis et ce jugement si solide que vous faites paraître dans...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024