ACTE I - Scène III



(Achille, Briséis)


ACHILLE
Oui, Madame, je prends tous les dieux pour témoins
Que vous seule avez fait mes pensers et mes soins.
Je sais mal employer l'ordinaire langage
Des douceurs qu'à l'amour on donne en apanage ;
Mais croyez, au défaut d'un entretien flatteur,
Que ma bouche en dit moins qu'il n'en est dans mon cœur.

BRISEIS
Vous en dites assez, Seigneur ; je suis contente,
Et n'osais me flatter d'une si douce attente.
Car que suis-je ? les Grecs m'ont ravi mes états
Il ne m'est plus resté que de faibles appas.
Ai-je droit de prétendre, esclave et malheureuse,
Que, d'une ardeur constante autant que généreuse,
Un prince tel que vous daigne me consoler,
Et qu'au titre d'épouse il veuille m'appeler ?
Vos promesses, Seigneur, et cet excès de gloire
Font que je n'oserais en douter, ni le croire.

ACHILLE
C'est me connaître mal que d'en pouvoir douter.
Vos traits n'ont plus besoin de me solliciter ;
Le seul devoir le fait, je hais les cœur frivoles
Mes principales lois sont mes simples paroles.
Vous vous dites esclave ; et de qui ? d'un amant.
C'est moi qui suis lié par les nœuds du serment.
Reposez-vous sur eux, attendez sans alarmes :
J'aurai devant les yeux ce serment et vos charmes.
Mon choix sera sans doute approuvé par Thétis ;
Mais son amour pour moi, l'honneur d'être son fils,
Mes états, vos conseils, votre intérêt, Madame,
Arrêtent de mon cœur l'impatiente flamme.
J'ai voulu prévenir par un hymen secret
Un doute et des soupçons que je souffre à regret.
Vous avez refusé ces marques de mon zèle ;
L'hymen vous est suspect sans pompe solennelle.
J'y consens : nous verrons vos parents et les miens ;
Je reprendrai des Grecs vos états et vos biens ;
Ce fer m'en est garant.

BRISEIS
Ah ! Seigneur, que la Grèce
Possède en paix mes biens, qu'elle en soit la maîtresse
Je n'en estime qu'un ; vous l'allez hasarder !
Vous disposez de vous sans me le demander !
Je vous plais sans états ; qu'importe d'être reine ?

ACHILLE
Vous l'êtes : plaire ainsi, c'est être souveraine.
La beauté, dont les traits même aux dieux sont si doux,
Est quelque chose encor de plus puissant que nous.
Tout vous doit assurer de ma persévérance ;
N'allez point d'un hymen corrompre l'espérance.
Que si vous ne pouvez vous vaincre là-dessus,
Dès demain…

BRISEIS
Non, Seigneur.

ACHILLE
Je ne vous presse plus
Attendons ; mais tâchez au moins d'être tranquille

BRISEIS
Est-ce une chose, hélas ! à nos cœur si facile ?

ACHILLE
Vous-même, vous voulez qu'on diffère ce jour.

BRISEIS
Seigneur, ne cherchez point de raison dans l'amour.
J'en dis trop ; cet aveu vous déplaira peut-être.
Mais quoi ! j'ai beau rougir, mon cœur n'est plus le maître.
Ce que l'on sent pour vous ne se peut étouffer
Achille ne saurait à demi triompher.
Souffrez qu'après ces mots Briséis se retire.
Ne vous lassez-vous point de les entendre dire ?
Ma rougeur me confond : je sors donc ; aussi bien
Ulysse va venir, et je ne craindrais rien !
Patrocle. entre…
Résistez à son art, opposez-lui ma flamme ;
Opposez-lui, du moins, la fierté de votre âme.
Que vous importe-t-il qu'on venge Ménélas ?
Songez à vos parents, à vos destins, hélas !
Aux miens qui les suivront. J'ai pour tout artifice
Les pleurs que vous voyez : pourront-ils moins qu'Ulysse ?
Employrai-je des traits moins sûrs de vous toucher ?
Adieu, Seigneur ; gardez un courroux qui m'est cher.

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