ACTE I - Scène I



(BRISEIS, LYDIE.)


LYDIE
Nous vous revoyons donc, heureuse Briséis !
L'injuste Agamemnon, pour venger son pays
Vous rendant au héros à qui vous sûtes plaire,
Croit que vous fléchirez d'un seul mot sa colère.

BRISEIS
Moi ! le vouloir fléchir ! Lydie, y pensez-vous ?
Moi, troubler le repos qu'il doit à son courroux !
Il a quitté par là l'intérêt des Atrides,
Par là laissé de Mars les fureurs homicides ;
Et lorsque, seul en paix, il voit même les dieux
En mortels attaquer et défendre ces lieux,
J'irai de leurs débats le rendre la victime !
Il servira les Grecs qui souffrent qu'on l'opprime !
Non, Lydie ; épargnons des jours si précieux.
Agamemnon m'a fait enlever à ses yeux :
Qui du camp s'en est plaint ? On s'est tu ; ce silence,
Si Briséis est crue, aura sa récompense.

LYDIE
Achille le jura dès votre enlèvement.

BRISEIS
C'est à moi d'avoir soin qu'il tienne son serment.
Le sort ne m'aura point contre lui pour complice
Contentons-nous qu'Ajax, Phoenix, avec Ulysse,
Députés par les Grecs, implorent son secours ;
Nous-mêmes n'allons pas précipiter ses jours.
Vous savez quel destin l'attend sur ces rivages.

LYDIE
Je ne m'arrête point à tous ces vains présages ;
On les rendra menteurs par quelque prompt départ.
Les Grecs sont-ils point las d'assiéger ce rempart ?
Quand se proposent-ils de revoir leur patrie ?

BRISEIS
Je ne sais ; et ces soins n'ont occupé ma vie
Que pour le prince seul qui fait mon souvenir.
Des soucis de l'État c'est trop s'entretenir ;
Ne songeons qu'à nos vœux. Que fait, que dit Achille ?
Lorsque j'étais absente, a-t-il été tranquille ?
Vous parlait-il de moi ? que vous en a-t-il dit ?
Me puis-je flatter d'être encore en son esprit ?
Et Patrocle ? Sans doute il est toujours fidèle.
Je vous trouve, du moins, toujours charmante et belle.

LYDIE
Que ce soit mon mérite ou la faveur des Cieux,
Patrocle jusqu'ici me voit des mêmes yeux ;
L'hymen serait déjà garant de sa constance ;
Mais, comme Achille doit y joindre sa présence,
A son retour en Grèce il veut qu'il soit remis.
Admirez qu'en amants changeant nos ennemis,
L'un et l'autre a changé son esclave en maîtresse.
Vous et moi nous étions le butin de la Grèce.
Le partage étant fait, l'un et l'autre vainqueur
S'en vint mettre à nos pieds sa fortune et son cœur ;
Achille vous aima ; Patrocle aima Lydie.

BRISEIS
J'ai sujet en un point de vous porter envie ;
Vous possédez entier le cœur de votre amant ;
Achille est occupé de son ressentiment ;
Sa gloire et sa grandeur sont encor mes rivales.
Tant que nous le verrons sur ces rives fatales,
Je craindrai pour ses jours. Vous voyez qu'au danger,
En me rendant à lui, l'on veut le rengager.
Que les enfants des dieux vendent cher aux mortelles
L'honneur de quelques soins, bien souvent peu fidèles !
Souvent il vaudrait mieux qu'un cœur de moindre prix
De nos frêles beautés se rencontrât épris
On le posséderait entier et sans alarmes ;
Au lieu que je crains tout, tantôt l'effort des armes,
Tantôt mon peu d'attraits, tantôt l'ambition ;
Et l'on n'est point d'un roi toute la passion.

LYDIE
Vous l'êtes de celui qui joint, par sa naissance,
Au sang qu'il tient des dieux la suprême puissance.
S'il se venge et s'il veut exercer son courroux,
Le seul motif en est l'amour qu'il a pour vous.
De votre enlèvement il poursuit la vengeance.
Il eût dissimulé peut-être une autre offense
Mais, ne vous ayant plus, aussitôt il fit voir
Qu'en vous seule il faisait consister son devoir,
Qu'il vous sacrifiait l'intérêt de la Grèce,
Qu'enfin la gloire était moins que vous sa maîtresse.

BRISEIS
Je l'avoue, et je crains peut-être sans sujet ;
Mais qui pourrait avoir un cœur moins inquiet ?

LYDIE
Vous, si vous vous savez connaître un peu vous-même
Vos vœux sont soutenus d'un mérite suprême.
Si vous savez donner à ces biens tout leur prix,
Votre amant vous devra, quoique fils de Thétis.
Nous descendons de rois : notre sang nous rend dignes
De l'hymen des héros même les plus insignes.
Je n'ai point oublié ce sang : imitez-moi ;
Croyez qu'un demi-dieu vous peut garder sa foi
Il me l'a confirmé cent fois en votre absence.

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