(DORANTE, LE CHEVALIER.)
LE CHEVALIER
Jé té rencontre à propos ; jé voulais té parler, Dorante.
DORANTE
Volontiers, chevalier ; mais fais vite ; voici l'heure de la poste, et j'ai un paquet à faire partir.
LE CHEVALIER
Jé finis dans un clin d'œil. Jé suis ton ami, et jé viens té prier dé mé réléver d'un scrupule.
DORANTE
Toi ?
LE CHEVALIER
Oui ; délivre-moi d'uné chicané qué mé fait mon honneur. A-t-il tort ou raison ? Voici lé cas. On dit qué tu aimes la Comtessé ; moi, jé n'en crois rien, et c'est entré lé oui et lé non qué gît lé petit cas dé conscience qué jé t'apporte.
DORANTE
Je t'entends, chevalier : tu aurais grande envie que je ne l'aimasse plus.
LE CHEVALIER
Tu l'as dit ; ma délicatesse sé fait bésoin dé ton indifférence pour elle. J'aime cetté dame.
DORANTE
Est-elle prévenue en ta faveur ?
LE CHEVALIER
Dé faveur, jé m'en passe ; ellé mé rend justicé.
DORANTE
C'est-à-dire que tu lui plais.
LE CHEVALIER
Dès qué jé l'aime, tout est dit ; épargne ma modestie.
DORANTE
Ce n'est pas ta modestie que j'interroge ; car elle est gasconne. Parlons simplement. T'aime-t- elle ?
LE CHEVALIER
Eh ! oui, té dis-je. Ses yeux ont déjà là-dessus entamé la matière ; ils mé sollicitent lé cœur, ils démandent réponsé. Mettrai-je bon au bas dé la réquête ? C'est ton agrément qué j'attends.
DORANTE
Je te le donne à charge de revanche.
LE CHEVALIER
Avec qui la révanche ?
DORANTE
Avec de beaux yeux de ta connaissance qui me sollicitent aussi.
LE CHEVALIER
Les beaux yeux qué la marquisé porte ?
DORANTE
Elle-même.
LE CHEVALIER
Et l'intérêt qué tu mé soupçonnes d'y prendre, té gêne, té rétient ?
DORANTE
Sans doute.
LE CHEVALIER
Va, jé t'émancipe.
DORANTE
Je t'avertis que je l'épouserai, au moins.
LE CHEVALIER
Jé t'informe qué nous férons assaut dé noces.
DORANTE
Tu épouseras la comtesse ?
LE CHEVALIER
L'espérance dé ma postérité s'y fonde.
DORANTE
Et bientôt ?
LE CHEVALIER
Démain, peut-être, notre célibat expire.
DORANTE(embarrassé.)
Adieu ; j'en suis fort ravi.
LE CHEVALIER(lui tendant la main.)
Touche là ; té suis-je cher ?
DORANTE
Ah ! oui…
LE CHEVALIER
Tu mé l'es sans mésure, jé mé donne à toi pour un siècle. Céla passé, nous rénouvellérons dé bail. Servitur.
DORANTE
Oui, oui ; demain.
LE CHEVALIER
Qu'appelles-tu démain ? Moi, jé suis ton servitur du temps passé, du présent et dé l'avénir. Toi dé même apparemment ?
DORANTE
Apparemment. Adieu.
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