(BLAISE, LISETTE, LE CHEVALIER, LA COMTESSE, FRONTIN.)
LA COMTESSE
Approchez, Lisette ; et vous aussi, maître Blaise. Votre fille devait épouser Arlequin ; mais si vous la mariez, et que vous soyez bien aise d'en disposer à mon gré, vous la donnerez à Frontin. Entendez-vous, maître Blaise ?
BLAISE
J'entends bian, madame ; mais il y a, morgué ! bian une autre histoire qui trotte par le monde, et qui nous chagraine. Il s'agit que je venons vous crier marci.
LA COMTESSE
Qu'est-ce que c'est ? D'où vient que Lisette pleure ?
LISETTE
Mon père vous le dira, madame.
BLAISE
C'est, ne vous déplaise, madame, qu'Arlequin est un mal appris ; mais que les pus mal-appris de tout ça, c'est monsieur Dorante et madame la marquise, qui ont eu la finesse de manigancer la volonté d'Arlequin, à celle fin qu'il ne voulît pus d'elle ; maugré qu'alle en veuille bian, comme je me doute qu'il en voudrait peut-être bian itou, si en le laissait vouloir ce qu'il veut, et qu'en n'y boutît pas empêchement.
LA COMTESSE
Et quel empêchement ?
BLAISE
Oui, madame ; par le mouyen d'une fille qu'ils appelont Marton, que madame la marquise a eu l'avisement d'inventer par malice, pour la promettre à Arlequin.
LA COMTESSE
Ceci est curieux.
BLAISE
En disant, comme ça, que faut qu'ils s'épousient à Paris, la mijaurée et li, dans l'intention de porter dommage à noute enfant, qui va choir en confusion de cette malice ; car ça n'est rien qu'un micmac pour affronter noute bonne renommée et la vôtre, madame, se gobarger de nous trois. C'est touchant ça que je venons vous demander justice.
LA COMTESSE
Il faudra bien tâcher de vous la faire. Chevalier, ceci change les choses ; il ne faut plus que Frontin y songe. Allez, Lisette, ne vous affligez pas ; laissez la marquise proposer tant qu'elle voudra ses Martons ; je vous en rendrai bon compte. Oui, je n'en doute pas, c'est cette femme-là, que je ménageais tant, qui m'attaque par cette manœuvre. Dorante n'y a d'autre part que sa complaisance ; mais peut-être me reste-t-il encore plus de crédit sur lui qu'elle ne se l'imagine. Ne vous embarrassez pas.
LISETTE
Arlequin vient de me traiter avec une indifférence insupportable ; il semble qu'il ne m'ait jamais vue. Voyez de quoi la marquise se mêle !
BLAISE
Empêcher qu'une fille ne soit la femme du monde !
LA COMTESSE
On y remédiera, vous dis-je.
FRONTIN
Oui ; mais le remède ne me vaudra rien.
LE CHEVALIER
Comtesse, je vous écoute ; mais l'oreille vous entend, et l'esprit né vous saisit point ; jé né vous conçois pas. Venez çà, Lisette ; tirez-nous cetté bizarre aventure au clair. N'êtes-vous pas éprise dé Frontin ?
LISETTE
Non, monsieur. Je le croyais, tandis qu'Arlequin m'aimait ; mais je vois que je me suis trompée, depuis qu'il me refuse.
LE CHEVALIER
Qué répondre à cé cœur dé femme ?
LA COMTESSE
Et moi, je trouve que ce cœur de femme a raison, et ne mérite pas votre réflexion satirique. Un homme qui l'aimait lui dit qu'il ne l'aime plus ; cela n'est pas agréable, et elle en est touchée avec raison. Je reconnais notre cœur au sien ; ce serait le vôtre, ce serait le mien en pareil cas. Allez, vous autres ; retirez-vous, et laissez-moi faire.
BLAISE
J'en avons charché querelle à monsieur Dorante et à sa marquise de cette affaire.
LA COMTESSE
Reposez-vous sur moi. Voici Dorante ; je vais lui en parler tout à l'heure.
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