L'Heureux Stratagème
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ACTE PREMIER - Scène VIII

Marivaux

ACTE PREMIER - Scène VIII


(LA MARQUISE, DORANTE.)

LA MARQUISE
Dorante, on nous quitte donc tous deux ?

DORANTE
Vous le voyez, madame.

LA MARQUISE
N'imaginez-vous rien à faire dans cette occasion-ci ?

DORANTE
Non, je ne vois plus rien à tenter ; on nous quitte sans retour. Que nous étions mal assortis, marquise ! Eh ! pourquoi n'est-ce pas vous que j'aime ?

LA MARQUISE
Eh bien ! Dorante, tâchez de m'aimer.

DORANTE
Hélas ! je voudrais pouvoir y réussir.

LA MARQUISE
La réponse n'est pas flatteuse ; mais vous me la devez dans l'état où vous êtes.

DORANTE
Ah ! madame, je vous demande pardon ; je ne sais ce que je dis, je m'égare.

LA MARQUISE
Ne vous fatiguez pas à l'excuser, je m'y attendais.

DORANTE
Vous êtes aimable, sans doute ; il n'est pas difficile de le voir, et j'ai regretté cent fois de n'y avoir pas fait assez d'attention ; cent fois je me suis dit…

LA MARQUISE
Plus vous continuerez vos compliments, plus vous me direz d'injures ; car ce ne sont pas là des douceurs, au moins. Laissons cela, vous dis-je.

DORANTE
Je n'ai pourtant recours qu'à vous, marquise. Vous avez raison ; il faut que je vous aime ; il n'y a que ce moyen-là de punir la perfide que j'adore.

LA MARQUISE
Non, Dorante, je sais une manière de nous venger qui nous sera plus commode à tous deux. Je veux bien punir la comtesse ; mais en la punissant, je veux vous la rendre, et je vous la rendrai.

DORANTE
Quoi ! la comtesse reviendrait à moi ?

LA MARQUISE
Oui, plus tendre que jamais.

DORANTE
Serait-il possible ?

LA MARQUISE
Et sans qu'il vous en coûte la peine de m'aimer.

DORANTE
Comme il vous plaira.

LA MARQUISE
Attendez pourtant. Je vous dispense d'amour pour moi ; mais c'est à condition d'en feindre.

DORANTE
Oh ! de tout mon cœur ; je tiendrai toutes les conditions que vous voudrez.

LA MARQUISE
Vous aimait-elle beaucoup ?

DORANTE
Il me le paraissait.

LA MARQUISE
Était-elle persuadée que vous l'aimiez de même ?

DORANTE
Je vous dis que je l'adore, et qu'elle le sait.

LA MARQUISE
Tant mieux qu'elle en soit sûre.

DORANTE
Mais du chevalier, qui vous a quittée et qui l'aime, qu'en ferons-nous ? Lui laisserons-nous le temps d'être aimé de la comtesse ?

LA MARQUISE
Si la comtesse croit l'aimer, elle se trompe ; elle n'a voulu que me l'enlever. Si elle croit ne vous plus aimer, elle se trompe encore ; il n'y a que sa coquetterie qui vous néglige.

DORANTE
Cela se pourrait bien.

LA MARQUISE
Je connais mon sexe ; laissez-moi faire. Voici comment il faut s'y prendre… Mais on vient ; remettons à concerter ce que j'imagine.


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