L'Heureux Stratagème
-
ACTE II - Scène V

Marivaux

ACTE II - Scène V


(DORANTE, LA COMTESSE.)

DORANTE(arrivant vite, et feignant de prendre la comtesse pour la marquise.)
Eh bien ! marquise, m'opposerez-vous encore des scrupules ?… (Apercevant la comtesse.)
Ah ! madame, je vous demande pardon, je me trompe. J'ai cru de loin voir tout à l'heure la marquise ici, et dans ma préoccupation je vous ai prise pour elle.

LA COMTESSE
Il n'y a pas grand mal, Dorante. Mais quel est donc ce scrupule qu'on vous oppose ? Qu'est-ce que cela signifie ?

DORANTE
Madame, c'est une suite de conversation que nous avons eue ensemble, et que je lui rappelais.

LA COMTESSE
Mais dans cette conversation, sur quoi tombait ce scrupule dont vous vous plaigniez ? Je veux que vous me le disiez.

DORANTE
Je vous dis, madame, que ce n'est qu'une bagatelle dont j'ai peine à me ressouvenir moi-même. C'est, je pense, qu'elle avait la curiosité de savoir comment j'étais dans votre cœur.

LA COMTESSE
Je m'attends que vous avez eu la discrétion de ne le lui point dire, peut-être ?

DORANTE
Je n'ai pas le défaut d'être vain.

LA COMTESSE
Non ; mais on a quelquefois celui d'être vrai. Et que voulait-elle faire de ce qu'elle vous demandait ?

DORANTE
Curiosité pure, vous dis-je.

LA COMTESSE
Et cette curiosité parlait de scrupule ! Je n'y entends rien.

DORANTE
C'est moi qui, par hasard, en croyant l'aborder, me suis servi de ce terme-là, sans savoir pourquoi.

LA COMTESSE
Par hasard ! Pour un homme d'esprit, vous vous tirez mal d'affaire, Dorante ; car il y a quelque mystère là-dessous.

DORANTE
Je vois bien que je ne réussirais pas à vous persuader le contraire, madame ; parlons d'autre chose. À propos de curiosité, y a-t-il longtemps que vous n'avez reçu de lettres de Paris ? La marquise en attend ; elle aime les nouvelles ; et je suis sûr que ses amis ne les lui épargneront pas, s'il y en a.

LA COMTESSE
Votre embarras me fait pitié.

DORANTE
Quoi ! madame, vous revenez encore à cette bagatelle-là !

LA COMTESSE
Je m'imaginais pourtant avoir plus de pouvoir sur vous.

DORANTE
Vous en aurez toujours beaucoup, madame ; et si celui que vous y aviez est un peu diminué, ce n'est pas ma faute. Je me sauve pourtant, dans la crainte de céder à celui qui vous reste. (Il sort.)

LA COMTESSE
Je ne reconnais point Dorante à cette sortie-là.


Autres textes de Marivaux

L'Île des esclaves

L'Île des esclaves, comédie en un acte écrite par Marivaux en 1725, se déroule sur une île utopique où les rapports sociaux sont inversés pour rétablir la justice. L'intrigue débute...

L'Île de la raison

L'Île de la raison, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1727, se déroule sur une île imaginaire gouvernée par la raison et la vérité, où les habitants vivent...

L'Héritier de village

L'Héritier de village, comédie en un acte écrite par Marivaux en 1725, raconte les mésaventures d’un jeune homme naïf, Eraste, nouvellement désigné comme héritier d’un riche villageois. L’histoire se déroule...

Les Serments indiscrets

Les Serments indiscrets, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1732, explore les contradictions de l’amour et de la parole donnée. L’intrigue tourne autour de Lucile et Damis, deux...

Les Fausses Confidences

Les Fausses Confidences, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1737, met en scène les stratagèmes de l’amour et les jeux de manipulation pour conquérir un cœur. L’histoire suit...



Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2025