ACTE QUATRIÈME - Scène PREMIÈRE



(ARTHUR entrant, puis SAINT-MÉGRIN.)

ARTHUR
Dans la salle du Conseil, l'appartement de M. de Saint-Mégrin, à gauche. — (Saint-Mégrin sort de son appartement.)
Pour vous, comte.

SAINT-MÉGRIN
Cette lettre et cette clef sont pour moi, dis-tu ? Oui… À monsieur le comte de Saint-Mégrin. De qui les tiens-tu ?…

ARTHUR
Quoique vous ne les attendissiez de personne, ne pouviez-vous les espérer de quelqu'un ?…

SAINT-MÉGRIN
De quelqu'un !… comment !… Et qui es-tu, toi-même ?

ARTHUR
Êtes-vous si ignorant en blason, comte, que vous ne puissiez reconnaître les armes réunies de deux maisons souveraines ?…

SAINT-MÉGRIN
La duchesse de Guise !… — (Lui mettant la main sur la bouche.)
Tais-toi !… Je sais tout… — (Il lit.)
Elle-même t'a remis cette lettre ?

ARTHUR
Elle-même.

SAINT-MÉGRIN
Elle-même !… Jeune homme, ne cherche pas à m'abuser ! Je ne connais pas son écriture… Avoue-le-moi, tu as voulu me tromper…

ARTHUR
Moi, vous tromper… Ah !…

SAINT-MÉGRIN
Où t'a-t-elle remis cette lettre ?

ARTHUR
Dans son oratoire.

SAINT-MÉGRIN
Elle était seule ?

ARTHUR
Seule.

SAINT-MÉGRIN
Et que paraissait-elle éprouver ?

ARTHUR
Je ne sais… mais elle était pâle et tremblante.

SAINT-MÉGRIN
Dans son oratoire ! seule, pâle et tremblante !… Tout cela devait être, et cependant j'étais si loin de m'attendre… Non, c'est impossible. — (Il relit.)
Plusieurs membres de la Sainte-Union se rassemblent cette nuit à l'hôtel de Guise ; les portes en resteront ouvertes jusqu'à une heure du matin. À l'aide d'un déguisement de ligueur, vous pouvez passer sans être aperçu ; l'appartement de madame la duchesse de Guise est au second, et cette clef en ouvre la porte. À monsieur le comte de Saint-Mégrin. C'est bien à moi… pour moi ; ce n'est point un songe… ma tête ne s'égare pas… Cette clef… ce papier… ces lignes tracées, tout est réel !… il n'y a point là d'illusion… — (Il porte la lettre à ses lèvres.)
Je suis aimé… aimé…

ARTHUR
À votre tour, comte, silence !…

SAINT-MÉGRIN
Oui, tu as raison ; silence !… et à toi aussi, jeune homme, silence !… Sois muet comme la tombe… oublie ce que tu as fait, ce que tu as vu ; ne te rappelle plus mon nom, ne te rappelle plus celui de ta maîtresse. Elle a montré de la prudence en te chargeant de ce message. Ce n'est point parmi les enfants qu'on doit craindre les délateurs.

ARTHUR
Et moi, comte, je suis fier d'avoir un secret à nous deux.

SAINT-MÉGRIN
Oui… mais un secret terrible : un de ces secrets qui tuent. Ah ! fais en sorte que ta physionomie ne le trahisse pas, que tes yeux ne le révèlent jamais… Tu es jeune ; conserve la gaieté et l'insouciance de ton âge. S'il arrive que nous nous rencontrions, passe sans me connaître, sans m'apercevoir ; si tu avais encore dans l'avenir quelque chose à m'apprendre, ne l'exprime point par des paroles, ne le confie pas au papier ; un signe, un regard me dira tout… Je devinerai le moindre de tes gestes ; je comprendrai ta plus secrète pensée. Je ne puis te récompenser du bonheur que je te dois… Mais si jamais tu avais besoin de mon aide, ou de mon secours, viens à moi, parle… et ce que tu demanderas, tu l'auras, sur mon âme, fut-ce mon sang. Sors, sors maintenant, et prends garde qu'on ne te voie… Adieu, adieu !

ARTHUR (lui pressant la main.)
Adieu, comte, adieu !

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