ACTE CINQUIÈME - Scène II



(LA DUCHESSE DE GUISE SAINT-MÉGRIN.)

SAINT-MÉGRIN
Je ne m'étais donc pas trompé, c'était votre voix que j'avais entendue ; elle m'a guidé….

LA DUCHESSE DE GUISE
Ma voix ! ma voix ! elle vous disait de fuir !

SAINT-MÉGRIN
Que j'étais insensé ! je ne pouvais croire à tant de bonheur.

LA DUCHESSE DE GUISE
Cette porte est encore ouverte ! fuyez, monsieur le comte, fuyez !

SAINT-MÉGRIN
Ouverte ! oui… imprudent que je suis !
(Il la referme et jette la clef.)

LA DUCHESSE DE GUISE
Monsieur le comte, écoutez-moi !

SAINT-MÉGRIN
Oh ! oui, oui ! parle ! j'ai besoin de t'entendre, pour croire à ma félicité.

LA DUCHESSE DE GUISE
Fuyez, fuyez ! la mort est là !… des assassins !…

SAINT-MÉGRIN
Que dis-tu ? quels sont ces mots de mort et d'assassins que tu prononces, avec une robe de fête, et le front couronné de fleurs ?

LA DUCHESSE DE GUISE
Des fleurs… ah ! qu'elles soient anéanties !
(Elle les arrache.)

SAINT-MÉGRIN
Que faites-vous ?

LA DUCHESSE DE GUISE
Écoutez-moi… écoutez-moi… Au nom du ciel ! sortez de ce délire insensé… il y va de la vie, vous dis-je ; ils vous ont attiré dans un piège infernal ; ils veulent vous assassiner.

SAINT-MÉGRIN
M'assassiner ! cette lettre n'était donc pas de vous ?

LA DUCHESSE DE GUISE
Elle était de moi ; mais, la violence, la torture… Voyez ! — (Elle lui montre son bras.)
Voyez…

SAINT-MÉGRIN
Ah !

LA DUCHESSE DE GUISE
C'est moi qui ai écrit ce billet… mais c'est le duc qui l'a dicté.

SAINT-MÉGRIN (le déchirant.)
Le duc ! et j'ai pu croire… Non, non, je ne l'ai pas cru un seul instant. Mon Dieu ! mon Dieu ! elle ne m'aime pas !

LA DUCHESSE DE GUISE
Maintenant que vous savez tout, fuyez, fuyez ! je vous l'ai dit, il y va de la vie.

SAINT-MÉGRIN (sans l'écouter.)
Elle ne m'aime pas…
(Il met sa main dans sa poitrine, et la meurtrit.)

LA DUCHESSE DE GUISE
Oh ! mon Dieu ! mon Dieu !

SAINT-MÉGRIN (riant.)
C'est ma vie, dites-vous, qu'ils veulent ! Eh bien ! je vais la leur porter : mais sans rien conserver de vous ! tenez ! voilà ce bouquet, que mon existence a failli payer. D'un mot, vous m'avez détaché de la vie, comme ces fleurs de leurs tiges. Adieu ! adieu pour jamais. (Il veut rouvrir la porte.)
Cette porte est refermée.

LA DUCHESSE DE GUISE
C'est lui ! il sait déjà que vous êtes ici.

SAINT-MÉGRIN
Ah ! qu'il vienne ! qu'il vienne ! Henri… Henri ! n'auras-tu de courage que pour meurtrir le bras d'une femme… Ah ! viens, viens !

LA DUCHESSE DE GUISE
Ne l'appelez pas ! ne l'appelez pas ! il doit venir !

SAINT-MÉGRIN
Que vous importe ? je vous suis indifférent. Ah ! la pitié ! oui…

LA DUCHESSE DE GUISE
Mais si vous m'aidiez, peut-être pourriez-vous fuir.

SAINT-MÉGRIN
Moi, fuir ! et pourquoi ? ma mort et ma vie ne sont-elles pas des événements également étrangers dans votre existence… Fuir ! et fuirais-je aussi votre indifférence, votre haine, peut-être ?

LA DUCHESSE DE GUISE
Mon indifférence ! ma haine ! ah ! plût au ciel !

SAINT-MÉGRIN
Plût au ciel ! dis-tu ? Un mot, un mot encore, et je t'obéirai aveuglément… Dis ; ma mort doit-elle être pour toi plus affreuse que l'assassinat d'un homme ?

LA DUCHESSE DE GUISE
Grand Dieu ! il le demande… Oh ! oui… oui.

SAINT-MÉGRIN
Tu ne me trompes pas ! ah ! je te rends grâce ! Tu parlais de fuir ! de moyens ! quels sont-ils ?… Fuir ! moi, fuir devant le duc de Guise !… Jamais !…

LA DUCHESSE DE GUISE
Ce n'est pas devant le duc de Guise que vous fuiriez ; c'est devant des assassins. Retenu dans une autre partie de l'hôtel par cette réunion de ligueurs, il a voulu s'assurer qu'une fois ici vous ne sauriez lui échapper. Si nous pouvions seulement fermer cette porte, nous aurions encore quelques instants ; mais la barre en a été enlevée ; une seconde clef est entre ses mains, — (Cherchant.)
et l'autre…

SAINT-MÉGRIN
N'est-ce que cela ? attendez. — (Il brise la pointe de son poignard dans la serrure.)
Maintenant cette porte ne s'ouvrira plus qu'on ne l'enfonce.

LA DUCHESSE DE GUISE
Bien, bien ! cherchons un moyen, une issue… Mes idées se heurtent ! ma tête se brise !…

SAINT-MÉGRIN (s'élançant vers la fenêtre.)
Cette fenêtre…

LA DUCHESSE DE GUISE
Gardez-vous-en bien ! vous vous tueriez !

SAINT-MÉGRIN
Me tuer sans vengeance ! Vous avez raison ; je les attendrai.

LA DUCHESSE DE GUISE
Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! secourez-nous ! Oh ! toutes les mesures de vengeance ne sont que trop bien prises… Et c'est moi, moi, qui n'ai pas su souffrir. — (Tombant à genoux.)
Comte, au nom du ciel ! votre pardon ! — (Se relevant.)
ou plutôt, non, non, ne me pardonnez pas… et, si vous mourez, je mourrai avec vous !
(Elle tombe dans un fauteuil.)

SAINT-MÉGRIN (à ses pieds.)
Eh bien ! rends-moi donc la mort plus douce. Dis, dis-moi que tu m'aimes… C'est un pied dans la tombe que je t'en conjure. Je ne suis plus pour toi qu'un mourant. Les préjugés du monde disparaissent, les liens de la société se brisent devant l'agonie. Entoure mes derniers moments des félicités du ciel… Ah ! dis, dis-moi que je suis aimé.

LA DUCHESSE DE GUISE
Eh bien oui, je vous aime ! et depuis longtemps. Que de combats je me suis livrés pour fuir vos yeux, pour m'éloigner de votre voix ! vos regards, vos paroles me poursuivaient partout. Non ! pour nous la société n'a plus de liens, le monde n'a plus de préjugés… Écoute-moi donc : oui, oui, je t'aime…. Ici, dans cette même chambre, que de fois j'ai fui un monde que ton absence dépeuplait pour moi ! Que de fois je suis venue m'isoler avec mon amour et mes pleurs ! et alors je revoyais tes yeux, j'entendais encore tes paroles, et je te répondais. Eh bien ! ces moments, ils ont été les plus doux de ma vie.

SAINT-MÉGRIN
Oh ! assez, assez… Tu ne veux donc pas que je puisse mourir… Malédiction !… Là, toutes les félicités de la terre, et là, la mort, l'enfer… Oh ! tais-toi, ne me dis plus que tu m'aimes… Avec ta haine, j'aurais bravé leurs poignards ; et maintenant, ah ! je crois que j'ai peur !

LA DUCHESSE DE GUISE
Saint-Mégrin, oh ! ne me maudis pas.

SAINT-MÉGRIN
Si, si, je te maudis pour ton amour qui me fait entrevoir le ciel et mourir… mourir ! Jeune, aimé de toi ! est-ce que je puis mourir ! Non, non ; redis-moi que tout cela n'était qu'illusion et mensonge !
(On entend du bruit.)

LA DUCHESSE DE GUISE
Ah ! ce sont eux !

SAINT-MÉGRIN
Ce sont eux. — (Tirant son épée et s'appuyant dessus avec calme.)
Éloigne-toi ; tu m'as vu faible, insensé ; en face de la mort, je redeviens un homme… éloigne-toi.

LA DUCHESSE DE GUISE (après un moment de réflexion.)
Saint-Mégrin ! écoute… écoutez. Cette fenêtre est… oui ! je m'en souviens… Il y a un balcon au premier étage ; si vous l'atteigniez une fois… une ceinture… une corde ; vous pouvez descendre jusque-là, et alors vous êtes sauvé. — (Cherchant.)
Mon Dieu ! rien, rien.

SAINT-MÉGRIN
Calme-toi ! Catherine, Voyons ! — (Allant à la fenêtre.)
Si je pouvais seulement distinguer ce balcon… mais rien qu'un gouffre.

LA DUCHESSE DE GUISE
On entend du bruit dans la rue. — (Se précipitant vers la fenêtre.)
Qui que vous soyez, au secours ! au secours !

SAINT-MÉGRIN (l'arrachant de la fenêtre.)
Que fais-tu ? veux-tu les avertir ! — (Un paquet de cordes tombe dans la chambre.)
Qu'est-ce là ?

LA DUCHESSE DE GUISE
Ah ! vous êtes sauvé ! — (Elle le prend.)
D'où vient-il ? Un billet. — (Elle lit.)
Quelques mots que j'ai entendus m'ont tout appris. Je n'ai que ce moyen de vous sauver, et je l'emploie. Arthur. Arthur ! ô cher enfant ! — (À Saint-Mégrin.)
C'est Arthur ; fuyez, fuyez vite.

SAINT-MÉGRIN (attachant la corde.)
En aurai-je le temps ? cette porte ; — (On l'agite violemment.)
Cette porte…

LA DUCHESSE DE GUISE
Attendez.
(Elle passe son bras entre les deux anneaux de fer.)

SAINT-MÉGRIN
Ah ! Dieu ! que faites-vous ?

LA DUCHESSE DE GUISE
Laisse ! laisse ! c'est le bras qu'il a déjà meurtri.

SAINT-MÉGRIN
J'aime mieux mourir.

LE DUC DE GUISE (ébranlant la porte.)
Ouvrez, madame, ouvrez,

LA DUCHESSE DE GUISE
Fuyez donc, mon Dieu ! En fuyant vous sauvez ma vie ; si vous restez, je jure de mourir avec vous, et je mourrai déshonorée… Fuyez, fuyez.

SAINT-MÉGRIN
Tu m'aimeras toujours ?

LA DUCHESSE DE GUISE
Oui, oui.

LE DUC DE GUISE (du dehors.)
Des leviers, des haches… que j'enfonce cette porte.

LA DUCHESSE DE GUISE
Pars donc !

SAINT-MÉGRIN
Adieu.

LA DUCHESSE DE GUISE
Oui… oui… adieu… !

SAINT-MÉGRIN
Adieu ! …
(Il met son épée entre ses dents et descend par la fenêtre.)

LA DUCHESSE DE GUISE
Mon Dieu ! mon Dieu ! je te remercie ; il est sauvé. — (Un moment de silence, puis tout à coup des cris, un cliquetis d'armes.)
Ah ! — (Elle quitte la porte, court à la fenêtre.)
Arthur ! Saint-Mégrin !
(Elle pousse un second cri, et revient tomber au milieu de la scène.)

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