ACTE II - Scène II


(ALEXANDRA; PUIS FARIBOL; PUIS FRANÇOISE.)

ALEXANDRA(seule.)
Oh ! le gueux !… le paltoquet !… le chenapan !… il se souviendra de la rue Papillon, n° 7… Et cette Pichenette, qu'est-ce qu'elle est ?… qu'est-ce qu'elle fait ?… oh ! je le saurai !… il faut qu'il me le dise… (On frappe doucement à la porte du fond.)
On frappe !… (Faribol entr'ouvre la porte et se glisse timidement dans la salle à manger. Il tient à la main un énorme bouquet.)
C'est lui !

FARIBOL(à part et très piteux.)
Mon Dieu !… que c'est donc bête de se laisser pincer comme ça !…

ALEXANDRA(à part sans se retourner.)
Je me tiens à quatre pour ne pas sauter sur les pincettes !…

FARIBOL(à part, au fond, toussant doucement pour se faire remarquer.)
Hum !… hum !… (Alexandra ne bouge pas.)
C'est moi… Bonjour, bonjour, chère amie !… Tu rentres de ta petite promenade ?…

ALEXANDRA(se contenant.)
Oui !… de ma… petite promenade…

FARIBOL(très gêné.)
Moi aussi… je rentre… et, en rentrant, comme tu aimes les fleurs… (Lui présentant son bouquet.)
Veux-tu permettre ?

ALEXANDRA(prend le bouquet, l'examine un moment et le jette par-dessus son épaule.)
Merci !

FARIBOL
Il n'y a pas de quoi ! (Tirant de sa poche un petit paquet enveloppé.)
Je t'ai aussi acheté un baba… Tu aimes le baba ?…

ALEXANDRA(le prend et le jette par-dessus son épaule.)
Merci !

FARIBOL(à part.)
Sapristi ! (Haut.)
Je t'ai encore acheté une montre en or… mais je te la donnerai dans un autre moment.

FRANÇOISE(entrant avec une soupière.)
Voilà le potage. (Elle le pose sur la table.)
M. de Saint-Gluten vient d'envoyer chercher des nouvelles de Monsieur.

FARIBOL
C'est bien, merci… (Françoise sort.)
Ce monsieur qui m'a offert un verre d'eau sucrée… il est très obligeant… Allons, à table (Il s'y place.)
J'ai juste une heure à passer avec toi avant d'aller conduire le bal de M. Papavert… Si tu veux prendre place ?…

ALEXANDRA
Je ne dîne pas !…

FARIBOL(se levant ; il a sa serviette à la boutonnière de son habit.)
Voyons, Alexandra !… ma petite Alexandra !
(Il cherche à lui prendre la taille.)

ALEXANDRA(le repoussant et avec éclat.)
N'approchez pas ! vous sentez la grisette !

FARIBOL
Moi ?… Oh ! tiens, tu me crois coupable !… Je parie que tu me crois coupable ?…

ALEXANDRA
Est-ce que vous auriez le front de me faire des histoires ?…

FARIBOL
Non !… je vais être franc !… je n'ai rien à cacher… Cette maison de la rue Papillon… je sortais de chez un de mes élèves… un nommé…

ALEXANDRA(l'interrompant brusquement. )
M. Pichenette ?

FARIBOL(à part.)
Oye ! oye !… (Haut.)
Pichenette ?… c'est sa mère !… la mère Pichenette… une pauvre petite vieille ratatinée… avec des lunettes vertes… qui branle la tête… elle est toujours de là…
(Il branle la tête.)

ALEXANDRA
Bien sûr ?

FARIBOL
Veux-tu que je te jure ?

ALEXANDRA
C'est inutile !… (Elle va prendre vivement son châle et son chapeau, et revient à Faribol.)
Nous allons y aller !
(Elle remonte pour sortir.)

FARIBOL(à part.)
Oye ! oye ! (Haut.)
Impossible ce soir… (Discrètement)
Elle a pris médecine, cette pauvre vieille !

ALEXANDRA
Ah çà ! vous croyez donc avoir épousé une petite grue ?…

FARIBOL
Comment ? tu ne me crois pas ? Mais qu'est-ce que tu veux que je te dise ?

ALEXANDRA
Une seule chose aurait pu me désarmer… peut-être !

FARIBOL(vivement.)
Laquelle ?

ALEXANDRA
Un aveu franc et complet de vos torts… Mais vous ne l'avez pas voulu !…
(Elle se dirige vers sa chambre.)

FARIBOL(alarmé, la suivant.)
Eh bien, si !… ne t'en va pas ! je vais tout de dire… mais tu me pardonneras ?…

ALEXANDRA(redescendant, et d'un ton bref.)
Marchez !
(Elle reste immobile, face au public, et sans regarder Faribol, pendant tout ce qui suit.)

FARIBOL(avec effort.)
Oui !… D'abord, je n'ai jamais cessé de t'aimer… et si j'ai fait la connaissance de cette…

ALEXANDRA(impatientée.)
Allez donc !

FARIBOL
Oui !… c'est bien pénible, va !… si tu savais comme c'est pénible !… c'est mon expiation… mais tu me pardonneras ?… bien vrai ?…

ALEXANDRA
Ne bavardons pas !…

FARIBOL
Oui !… D'abord, je n'ai jamais cessé de t'aimer !… et, si j'ai fait la connaissance de cette jeune personne…

ALEXANDRA(se contenant. )
Ah !… elle est jeune ?

FARIBOL
Oh ! c'est-à-dire… mais très grêlée !… J'ai été attiré vers elle… par son air candide… elle est attachée au Conservatoire… ainsi !…

ALEXANDRA
Après ?

FARIBOL
Elle me demande des leçons de musique… Oh ! la musique… Le premier mois, nous n'avons fait que des gammes… ma parole d'honneur ! nous n'avons fait que des gammes ! Car je n'ai jamais cessé de t'aimer !…

ALEXANDRA
Après ?…

FARIBOL(de plus en plus contraint.)
Le second mois… elle me donna de ses cheveux… (Tirant une longue tresse de sa poche.)
Tiens ! … les voilà !… (Alexandra les prend et les jette par-dessus son épaule. À part.)
C'est nerveux !

ALEXANDRA
Après ?…

FARIBOL(baissant la voix et avec effort.)
Le troisième mois… le troisième mois…

ALEXANDRA
Est-ce pour aujourd'hui ?…

FARIBOL(se laissant tomber à ses genoux, et avec un sanglot comique.)
Alexandra !… je suis un grand coupable !…

ALEXANDRA(avec triomphe.)
Ah !… très bien !… voilà ce que je voulais entendre… de votre propre bouche !

FARIBOL(se relevant.)
Et maintenant, tu me pardonnes ?…

ALEXANDRA(avec éclat.)
Ah ! par exemple !… jamais !

FARIBOL(abasourdi.)
Ah bah !… et moi qui… (À part.)
Oh ! quelle boulette !… (Haut.)
Comment ! tu persistes à vouloir te venger ?…

ALEXANDRA(remontant.)
Une honnête femme n'a que sa parole !

FARIBOL
Alexandra !

ALEXANDRA
Il n'y a plus rien de commun entre nous !…(Elle entre dans sa chambre en fredonnant avec rage.)
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