MADAME GAUDIN, DELPHINE, FULBERT, puis VERTCHOISI et ULRIC
MADAME GAUDIN
Cette fille manque de lyrisme !
FULBERT (entrant par la droite.)
M. de Vertchoisi et M. Ulric font demander si ces dames consentent à leur accorder la sucrerie d'un entretien.
MADAME GAUDIN
Certainement.
DELPHINE
Un moment!
(Les deux dames courent à la glace et arrangent leur coiffure.)
MADAME GAUDIN (à FULBERT.)
Faites entrer.
FULBERT (annonçant.)
M. de Vertchoisi !… M. ULRIC.
(VERTCHOISI et ULRIC entrent, ils sont en bottes vernies, gants blancs, mise très élégante. —)
(Salutations graves et cérémonieuses.)
MADAME GAUDIN (à VERTCHOISI.)
Eh bien, cher poète, avez-vous un peu dormi ?
VERTCHOISI
Moi, Madame?… Je ne dors jamais… par principe ! Qu'est-ce que le sommeil? la soustraction de la vie?… qu'est-ce que la veille? la multiplication de l'existence!
DELPHINE
Ah! que c'est bien dit!
MADAME GAUDIN
Et vous. Monsieur ULRIC?
ULRIC
Moi, c'est le contraire… je dors toujours… par principe! Qu'est-ce que la vie?… une angoisse, un long mal de dents… Qu'est-ce que le sommeil?… un dentiste ! multipliez trois nuits par douze heures d'insomnies… et vous aurez trente-six douleurs.
MADAME GAUDIN (transportée.)
Quelle charmante comptabilité!
DELPHINE
Quant à nous, nous nous sommes promenées fort tard dans le parc…
MADAME GAUDIN
Oui… la nuit silencieuse avait arboré sa broche d'opale.
VERTCHOISI
Ah! délicieux!… de qui est le mot?
MADAME GAUDIN (hésitant.)
Mais… il est de moi…
DELPHINE (bas.)
Ah! ma tante!
MADAME GAUDIN
Tais-toi donc!… il ne faut pas avoir l'air de boutiquières! (Haut.)
Et comment se comporte ce matin M. de Valtravers… notre cher noyé?
ULRIC
Oh! bien doucement…
VERTCHOISI
II a eu cette nuit une petite rechute.
MADAME GAUDIN
Ah! pauvre jeune homme!
VERTCHOISI
Vous nous en voyez confus… car nous abusons vraiment d'une hospitalité…
DELPHINE
Par exemple!
MADAME GAUDIN
Ne parlons pas de ça!… parlons de vos œuvres plutôt… Comptez-vous bientôt faire éclore quelques-unes de ces rutilantes poésies…
VERTCHOISI
Plus tard, belle dame… mes strophes sont encore suspendues aux mamelles de ma fantaisie!…
MADAME GAUDIN (avec ménagement.)
Et… de quelle école êtes-vous?
VERTCHOISI
De la mienne, Madame… je conteste toutes les autres.
ULRIC
Nous contestons toutes les autres!
MADAME GAUDIN
II en est, cependant, que la renommée a consacrées.
VERTCHOISI et ULRIC
La renommée!
VERTCHOISI
Nous ne sacrifions pas à cette idole, dont les méplats et les teintes mordorées se jouent dans les pénombres de ce phantascope qui a pris le monde pour stylobate!… voilà mon opinion!
ULRIC
Je la partage.
MADAME GAUDIN
Stylobate!… Ah! que c'est joli!… (Bas à sa nièce.)
Qu'est-ce que ça veut dire?
DELPHINE (bas.)
Je ne sais pas, ma tante.
MADAME GAUDIN
Mais, où allez-vous chercher tous ces mots mélodieux?
VERTCHOISI
Oh! nous ne les puisons pas dans le dictionnaire de M. l'Académie française!
ULRIC (grinçant.)
Oh! l'Académie française!
MADAME GAUDIN (le calmant.)
Voyons!… calmez-vous… Que ferons-nous, aujourd'hui?… je propose une promenade.
VERTCHOISI
Adopté!
MADAME GAUDIN
Vous paraissez aimer la campagne, Monsieur de Vertchoisi?
VERTCHOISI
Si je l'aime?… c'est-à-dire que c'est une infirmité… je serai obligé de m'en faire opérer…
ULRIC (avec amertume.)
Ah! tu crois à la campagne, toi?
VERTCHOISI
Je ne m'en cache pas… j'aime les bois, les prés, les fleurs…
ULRIC
Moi! je ne crois pas aux fleurs!…
MADAME GAUDIN
Monsieur Ulric… je vous demande grâce pour mes rosiers.
ULRIC
Les rosiers sont des petits bâtons qui tiennent la place des asperges…
MADAME GAUDIN (avec enthousiasme.)
Qu'il est amer!… Du chicotin! pur chicotin! (A ULRIC.)
Mais votre cœur est donc sourd et muet?
ULRIC
Si cela était. Madame… vous seriez bientôt son abbé de l'Épée.
MADAME GAUDIN (transportée.)
Son abbé de l'Épée! Ah! que c'est joli! C'est outrageusement galant!
FULBERT (entrant, et très haut.)
Madame, c'est la blanchisseuse de gros!
MADAME GAUDIN (révoltée.)
Animal !
VERTCHOISI
Butor!
FULBERT
Quoi donc?
MADAME GAUDIN
Venu- nous parler de la blanchisseuse!
ULRIC
De gros !
MADAME GAUDIN
Quand nous planions sur les cimes…
FULBERT (s'excusant.)
Pardon… je ne savais pas que Madame planât… (A Vertchoisi.)
Monsieur, il y a aussi là un
Anglais qui demande si vous voulez lui vendre votre chien danois.
ULRIC et VERTCHOISI
Tiens!…
VERTCHOISI
Et combien en offre-t-il?
DELPHINE (avec reproche.)
Oh!… vendre son chien!
VERTCHOISI (avec feu.)
Jamais… vendre son chien!… ce compagnon de nos joies et de nos misères!…
ULRIC
Le chien! la dernière élégie du pauvre!
VERTCHOISI
Le chien! poète sublime de la résignation et du sacrifice! (A FULBERT.)
Tu entends!… jamais!… jamais!…
ULRIC (bas à FULBERT.)
C'est égal, si tu en trouves soixante francs… lâche-le!
FULBERT (étonné.)
Ah! bah!
(Il remonte.)
MADAME GAUDIN
Quelle noblesse de sentiments!
DELPHINE (à VERTCHOISI, avec émotion.)
Oh! merci. Monsieur… merci!., je suis heureuse! bien heureuse de vous entendre parler ainsi…
VERTCHOISI (à part)
Tiens ! comme elle a dit ça !
FULBERT (bas à Mme GAUDIN.)
Madame, faut-il servir?
MADAME GAUDIN (à VERTCHOISI et à ULRIC.)
Shakespeare l'a dit, Messieurs… les femmes doivent savoir quelquefois descendre sur la terre… nous allons nous occuper du déjeuner?
VERTCHOISI (à part.)
Ma foi! Shakespeare a bien fait de dire ça… s'il l'a dit!… (Saluant.)
Mesdames…
LES DEUX DAMES (saluant.)
Messieurs…
MADAME GAUDIN (sortant, suivie de DELPHINE.)
Oh! que ces hommes sont grands!
(AIR : A ma voix rebelle Le Chien du jardinier, scène 1)
Une voix me crie ;
Pour de vils apprêts
Quitte les sommets
De la poésie,
Car nos entremets
Ne seraient pas prêts…
Et je m'y soumets.
(ENSEMBLE)
MADAME GAUDIN, DELPHINE
Une voix me crie, etc.
VERTCHOISI, ULRIC
Une voix vous crie ;
Pour de vils apprêts
Quittez les sommets
De la poésie;
Partez sans regrets,
Car les entremets,
N'attendent jamais.
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
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Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
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