EMPLOYES, LE CHEF DE GARE, puis BERNARDON et JULES.
Au lever du rideau, on entend un coup de cloche.
Les employés vont et viennent: les uns conduisent des brouettes de bagages; un autre marche sur les wagons et allume les lanternes; d'autres entrouvrent les portières des wagons.
LE CHEF DE GARE
(aux employés. )
Dépêchez-vous de former le train… deux voitures de seconde en arrière… prévenez le graisseur… Dans cinq minutes vous ouvrirez les salles d'attente.
BERNARDON
(entrant par la droite, suivi de JULES. )
Viens par ici…
LE CHEF DE GARE
Serviteur, monsieur Bernardon.
(sort à gauche.)
BERNARDON
Nous sommes un peu en avance… cela me donnera le temps de te lire mon discours.
JULES
(à part, passant derrière BERNARDON. )
II ne veut pas me lâcher… impossible de m'en débarrasser…
BERNARDON
D'abord, voici de l'argent pour ton voyage… et un permis de circulation… aller et retour… Maintenant voilà mon discours…
JULES
Ah ! ah ! vous avez trouvé une plume d'oie?…
BERNARDON
Tu vas voir… (Lisant.)
"Messieurs, l'homme éminent…" (S'interrompant.)
L'homme éminent, c'est moi… (Il continue à lire.)
"… que je viens représenter…"(S'interrompant et cherchant à lire.)
Sapristi !… qu'est-ce qu'ils ont mis là?
JULES
Quoi?
BERNARDON
Là… après "que je viens représenter…"
JULES
Tiens ! ce n'est pas de votre écriture.
BERNARDON
Non… j'ai fourni le gros des idées… et ils ont rédigé ça dans mes bureaux… je suis si occupé !
JULES
(déchiffrant. )
"L'homme éminent que je viens représenter… et dont nous pleurons l'absence…"
BERNARDON
(reprenant le papier. )
Oui, ma foi ! ce diable de Domengeat ne barre jamais ses t… Non, il a mis dans sa tête qu'il ne les barrerait pas ! et il ne les barre pas ! Heureusement que je ne le paye pas cher! (Reprenant sa lecture.)
"Et dont nous pleurons l'absence… est retenu à Paris, où il consume sa vie… une vie toute de travail et d'honneur… à la défense de vos intérêts…"
JULES
Pas mal.
BERNARDON
(à JULES. )
C'est de moi !… (Lisant.)
"Cet homme de bien… ai-je besoin de vous le rappeler?… a déjà doté la commune d'un lavoir… d'un lavoir…" (Parlé.)
Nom d'un nom ! qu'est-ce qu'il a mis là ?
JULES
(prenant le papier. )
D'un lavoir… et… il n'a pas barré son t.
BERNARDON
Non ! il l'a mis dans sa tête. (Lisant.)
"Et à l'heure où je parle, sans ménager ni ses pas ni ses veilles, il est en instance auprès de l'administration supérieure pour appeler sur vos têtes les bienfaits d'une pompe à incendie. "
JULES
(à part. )
C'est de l'hydrothérapie!
BERNARDON
(lisant. )
"Sa sollicitude pour les classes laborieuses ne s'arrêtera pas là, car cette âme bienfaisante, cet homme magnanime…" (S'interrompant.)
C'est peut-être un peu fort?
JULES
II n'y a pas de mal… ces machines-là demandent à être très corsées…
BERNARDON
(lisant. )
"Cet homme magnanime… au cœur fier: corde alto !…" (Parlé.)
C'est du latin…
JULES
J'entends bien que c'est du latin… mais j'ôterais ça: corde alto !… A Croupenbach on pourrait croire que c'est un instrument à cordes…
BERNARDON
Tu as raison… mettons seulement: Au cœur généreux…
JULES
Oui, généreux rappelle le lavoir.
BERNARDON
(lisant. )
"Cet homme magnanime, au cœur généreux, dédaigne les lambris dorés… (S'attendrissant.)
pour visiter la chaumière du pauvre ! "
JULES
Ah ! ça finit très bien !
BERNARDON
II y a encore une phrase.
JULES
(prenant le papier et lisant. )
Oui !… "Je demande de l'augmentation !…"
BERNARDON
De l'augmentation ! un polisson qui ne barre pas ses t… Ne va pas lire ça !
JULES
Soyez tranquille… je m'arrêterai à la chaumière du pauvre…
BERNARDON
Parfait… Maintenant, va te retenir un coin… j'ai besoin de dire deux mots au chef de gare… Comprends-tu ça? je reçois toutes les semaines une bourriche de ma campagne… et on me fait payer le port… A moi ! un employé supérieur…
JULES
C'est inconvenant…
BERNARDON
Oh ! si ce n'était qu'inconvenant… mais ça coûte ! Je reviens…
(sort par la gauche.)
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Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
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