TAPIOU, ACTIONNAIRES, puis PAULINE
Au lever du rideau, des actionnaires, hommes et femmes, sont assis autour de la table et rédigent leurs bordereaux.
D'autres vont et viennent, ou sont devant les guichets.
TAPIOU est debout devant le guichet 24, premier plan.
Il est manchot du bras gauche et porte l'uniforme de l'administration du Chemin de fer.
CHŒUR
Chacun de nous s'empresse,
Malgré les lenteurs des bureaux,
De passer à la caisse
Pour rédiger ses bordereaux.
UNE PAYSANNE
(à un monsieur en lui montrant une action qu'elle tient à la main. )
V'là mon papier… Ousque c'est qu'on paye?
LE MONSIEUR
(désignant TAPIOU gui tourne le dos. )
Adressez-vous au brigadier…
(s'éloigne au troisième plan, à la droite.)
LA PAYSANNE
(à TAPIOU. )
V'là mon papier… Ousque c'est qu'on paye?
TAPIOU
(se retournant. )
Allez vous asseoir… que l'on vous appellera…
LA PAYSANNE
Merci, monsieur.
(La paysanne va s'asseoir à l'extrême droite sur le banc.)
TAPIOU
(à lui-même. )
Cristi ! que j'ai chaud !… ils m'ont campé sur une bouche de calorifère…
Je demanderai à changer de guichet.
UN MONSIEUR
(assis à la table du milieu, à son voisin. )
Monsieur, après vous la plume…
TAPIOU
(à lui-même. )
Allons, bon ! v'là le bras droit qui me démange… impossible de me gratter…
UNE VOIX D'EMPLOYÉ
(derrière le guichet. )
M. Belgrive !
TAPIOU
(appelant. )
M. Belgrive !
UN MONSIEUR
Présent !… (Il va au guichet.)
TAPIOU
Dieu de Dieu ! que ça me démange !
(se frotte contre la boiserie.)
LA VOIX DE L'EMPLOYÉ
(appelant. )
M. Roupagnol de Quatremar…
TAPIOU
(appelant. )
M. Roupagnol de Quatremar !… (A lui-même.)
En v'là un nom… Eh bien ! il ne vient pas? (Criant à tue-tête.)
M. Roupagnol de Quatremar !
UN VIEUX MONSIEUR
(s'approchant. )
Je crois qu'on a murmuré mon nom…
TAPIOU
Vous êtes donc sourd ?
UN VIEUX MONSIEUR
Seize obligations du chemin de fer… nominatives…
TAPIOU
Très bien ! fallait le dire ! (Montrant la bouche de chaleur.)
Prelotte ! qu'il fait chaud là-dessous… Si ça continue, je vas me crevasser ! (Apercevant PAULINE qui est entrée par le fond avec un panier rempli d'assiettes qu'elle passe par les guichets.)
Tiens ! v'là ma femme qui passe le déjeuner aux employés… mon tour va venir…
PAULINE
Bonjour, Tapiou…
TAPIOU
Bonjour, Pauline… Qu'est-ce que tu m'apportes ce matin ?
PAULINE
Une saucisse aux haricots…
TAPIOU
Encore des z'haricots !… ça me fait gonfler. Je t'avais demandé des nantilles.
PAULINE
II n'y en avait plus… Ne grogne pas, v'là ta bouteille et une pomme.
(Elle pose le déjeuner de TAPIOU sur la planche devant le guichet.)
TAPIOU
Ça va refroidir… attends… la bouche de chaleur… elle servira à quelque chose. (Il place son assiette à terre sur la bouche de chaleur.)
Maintenant pelure ma pomme… parce qu'avec une main…
PAULINE
(tout en pelurant la pomme. )
Eh bien ? qu'est-ce que je vois ? t'es manchot du bras gauche aujourd'hui ?
TAPIOU
Oui…
PAULINE
Hier c'était le droit…
TAPIOU
Je change… un jour l'un, un jour l'autre; si tu crois que c'est caressant de se replier le bras toute la journée de neuf à quatre.
PAULINE
Si on allait s'apercevoir que tu as tes deux bras…
TAPIOU
Impossible! Je n'en montre qu'un à la fois…
PAULINE
Tu n'avais aucun titre pour obtenir ta place… Simple gâte-sauce dans un restaurant
(à trente-deux sous…)
TAPIOU
Trente-cinq… depuis l'Exposition… une bonne place…
PAULINE
Que tu as perdue, grâce à ta bêtise… C'est alors que je me suis adressée à monsieur
Ernest… le sous-chef… un jeune homme très bien… qui a connu ma famille…
TAPIOU
J'ai idée qu'il te fait de l'œil…
PAULINE
A moi ! par exemple !
TAPIOU
Je n'insiste pas…
PAULINE
C'est lui qui a eu la bonne pensée de te faire passer pour manchot…
TAPIOU
Ancien militaire ! J'ai laissé pousser mes moustaches… et l'on m'a accepté d'emblée… Seulement je voudrais bien changer de guichet, celui-ci n'est bon qu'à faire éclore des petits poulets…
PAULINE
Tiens… v'là ta pomme… Je viendrai chercher les assiettes…
Elle sort, troisième plan à gauche.
LA VOIX
(derrière le guichet. )
M. Lavallard.
TAPIOU
M. Lavallard. (A part.)
Quel métier ! ça m'éraille !
UN MONSIEUR
(assis sur le banc près des guichets, se levant vivement. )
Me voilà !
(met les pieds dans l'assiette qui est posée à terre sur la bouche de chaleur.)
TAPIOU
(vivement. )
Prenez donc garde !… que vous piétinez dans ma saucisse…
(prend l'assiette.)
LE MONSIEUR
Je ne l'avais pas vue !
TAPIOU
Heureusement qu'il fait sec… il n'y a pas de crotte.
(souffle sur la saucisse comme pour en chasser la poussière.)
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