LES MEMES, moins BERNARDON, puis TAPIOU
GINGINET
II est très bien, cet homme-là… C'est un travailleur… qui s'occupe de nos intérêts.
CLEMENCE
(à part. )
Et de son jeton ! (Haut.)
Mon ami, je crois que tu oublies tes coupons.
GINGINET
C'est vrai… mais je me sens bien ici… je suis chez moi… J'y resterais toute la journée…(Examinant la localité.)
Comme tout ça est établi… c'est peint à l'huile… à trois couches… C'est plus cher… mais ça dure… nous ne liardons pas… Mettons-nous à cette table. (Les femmes s'assoient et déposent tous leurs paquets sur la table; à JENNY.)
Corne hère! Répète:
Table! table!
JENNY
Teuble ! teuble !
GINGINET
Pas mal !
COLOMBE
(à part. )
Elle me fait suer de l'encre de Chine…
TAPIOU
(rentrant; il est redevenu manchot du bras gauche; à part. )
J'ai encore changé de bras… ça me délasse.
COLOMBE
(à part, apercevant le changement de bras; étonnée. )
Tiens !… on lui a revissé son bras de l'autre côté !
GINGINET
(qui a installé les dames à la table. )
Maintenant je vais m'informer du mécanisme près du brigadier… (Allant à TAPIOU.)
Mon ami, j'ai quinze actions… c'est la première fois que je touche…
TAPIOU
(machinalement. )
Allez vous asseoir… que l'on vous appellera !
GINGINET
Mais on ne peut pas m'appeler si on ne sait pas que je suis là !
TAPIOU
Tenez!… voilà un bordereau.
(le lui donne.)
GINGINET
Ah! voilà donc ce qu'on appelle un bordereau!… mais expliquez-moi…
TAPIOU
Non, il fait trop chaud…
GINGINET
Merci, brigadier… (A part, retournant à la table.)
Il est très bien aussi, cet homme-là. Nous ne prenons que de vieux soldats… c'est moins cher… (Aux dames.)
J'ai mon bordereau… le voilà! (A JENNY, le lui montrant.)
Bordereau ! Dis : Bordereau !
JENNY
(répétant. )
Borderotte !
GINGINET
Oui! pas mal!… heureusement que je vais la marier… (Regardant son bordereau.)
Ah ! diable ! que veulent dire toutes ces colonnes?… Numéros de série… numéros d'ordre…
CLEMENCE
Ça, je n'en sais rien !
GINGINET
II vaut mieux s'informer… Je vais demander au brigadier… (Allant à TAPIOU.)
Pardon, mon brave…
TAPIOU
Allez vous asseoir, que l'on vous appellera…
GINGINET
Oui, vous me l'avez déjà dit… Qu'entendez-vous par numéros de série… et numéros d'ordre?
TAPIOU
Le numéro de série, c'est la première colonne… le numéro d'ordre, c'est la seconde…
GINGINET
Je le vois bien, mais…
TAPIOU
Sapristi ! Je crois qu'ils ont rallumé du feu là-dessous.
(s'éloigne de son guichet.)
GINGINET
Merci, brigadier.
(revient à la table.)
CLEMENCE
Eh bien ! as-tu demandé ?
GINGINET
Oui… le numéro de série, c'est la première colonne… le numéro d'ordre, c'est la seconde… Comprends-tu?…
CLEMENCE
Pas un mot.
GINGINET
Dicte-moi toujours les numéros… Ah ! attends ! Je vois ici: nom, prénoms et domicile… J'en ai deux: l'un à Paris, l'autre à la campagne… Lequel faut-il mettre?
CLEMENCE
Celui de Paris…
COLOMBE
Celui de la campagne…
GINGINET
Tu crois?… J'aime mieux demander… (Il va au guichet 24, qui est fermé; il frappe, on ne répond pas.)
Ils travaillent… C'est une ruche ici… une véritable ruche… Tant pis ! je veux voir ça… (Il monte sur une chaise et regarde par-dessus la cloison.)
Tiens ! ils mangent !… il y en a un autre qui arrange ses ongles… (Revenant à la table.)
Il ne faut pas les déranger…(Apercevant TAPIOU qui est revenu au guichet 24.)
Ah ! Colombe ! va demander au vétéran si je dois indiquer mon domicile à la campagne ou à Paris…
CLEMENCE
(prenant son globe. )
Oui, Monsieur…
GINGINET
Pendant ce temps-là, nous allons écrire les numéros…
(GINGINET écrit. CLEMENCE dicte à voix basse.)
COLOMBE
(à TAPIOU. )
Jeune homme !
TAPIOU
(galamment. )
Quoi ! ma belle enfant ?
COLOMBE
C'est mon bourgeois qui demande ousqu'il faut indiquer son domicile ?
TAPIOU
II faut l'indiquer là ousqu'il demeure… parce que s'il l'indiquait ailleurs… c'est qu'il n'y demeurerait pas…
COLOMBE
Je vas lui dire…
TAPIOU
Un instant… que vous êtes bien pressée…
(veut la lutiner.)
COLOMBE
Prenez garde à mon globe !
TAPIOU
Mamz'elle… je voudrais vous demander quelque chose ?
COLOMBE
(baissant les yeux. )
Si une demoiselle peut l'entendre…
TAPIOU
(amoureusement et bas. )
Vous n'allez donc jamais vous promener le soir à Montmartre ?
COLOMBE
(étonnée. )
Pourquoi faire ?
TAPIOU
II y a des bosquets !
(veut la lutiner.)
COLOMBE
Je vous quitte… Mon absence pourrait être remarquée…
TAPIOU
Vous accepterez bien la politesse d'un verre de vin chaud ?
COLOMBE
Ça, ça ne se refuse pas.
TAPIOU
(lui servant à boire. )
A la vôtre.
COLOMBE
(trinquant. )
A la vôtre.
GINGINET
(écrivant son bordereau. )
Maintenant, le domicile… (Appelant.)
Colombe !… Eh bien ! elle trinque avec le brigadier ! Colombe !
COLOMBE
(s'essuyant la bouche avec le revers de sa main. )
Monsieur…
GINGINET
Je n'aime pas qu'une fille qui porte ma livrée… affiche des allures !
COLOMBE
Mais…
GINGINET
C'est bien… Assez! Qu'a dit le vétéran?… votre compagnon d'orgie…
COLOMBE
II a dit que votre domicile… c'était là ousque vous demeuriez…
GINGINET
(écrivant. )
Je vais mettre… tantôt à Paris… tantôt à la campagne… (Se levant.)
Voilà! Maintenant, c'est l'affaire d'une minute… (Aux femmes.)
Vous allez voir le rouage… Je glisse mon bordereau par ce guichet… (Il le passe.)
Et dans un instant…
TAPIOU
Allez vous asseoir, que l'on vous appellera…
GINGINET
Oui… asseyons-nous… on nous appellera.
LA VOIX DE L'EMPLOYÉ
(derrière le guichet. )
M. Ginginet…
GINGINET
(se levant. )
Déjà !… Quand je vous disais…
TAPIOU
(appelant. )
M. Ginginet !
GINGINET
(s'approchant du guichet. )
C'est moi…
L'EMPLOYÉ
(lui repassant son bordereau. )
Votre bordereau est mal fait, il faut le recommencer.
Le guichet se referme.
GINGINET
(ahuri. )
Quoi ? Comment, le recommencer !
TAPIOU
On vous dit qu'il est mal fait…
GINGINET
Qu'est-ce qu'il lui manque ?
TAPIOU
Ça ne me regarde pas… Allez vous asseoir!
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...