ACTE TROISIÈME - Scène V



(FIGARO, dans le fond ; ROSINE, BARTHOLO, LE COMTE.)

Bartholo (chante.)
Veux-tu, ma Rosinette,
Faire emplette
Du roi des maris ?
Je ne suis point Tircis ;
Mais la nuit, dans l'ombre,
Je vaux encor mon prix ;
Et quand il fait sombre,
Les plus beaux chats sont gris.
(Il répète la reprise en dansant. Figaro, derrière lui imite ses mouvements.)
Je ne suis point Tircis.
(Apercevant Figaro.)
Ah ! entrez, monsieur le barbier ; avancez ; vous êtes charmant !

Figaro (salue.)
Monsieur, il est vrai que ma mère me l'a dit autrefois ; mais je suis un peu déformé depuis ce temps-là. (À part, au comte.)
Bravo ! monseigneur.
(Pendant toute cette scène, le comte fait ce qu'il peut pour parler à Rosine ; mais l'œil inquiet et vigilant du tuteur l'en empêche toujours, ce qui forme un jeu muet de tous les acteurs étrangers au débat du docteur et de Figaro.)

Bartholo
Venez-vous purger encore, saigner, droguer, mettre sur le grabat toute ma maison ?

Figaro
Monsieur, il n'est pas tous les jours fête ; mais, sans compter les soins quotidiens, monsieur a pu voir que, lorsqu'ils en ont besoin, mon zèle n'attend pas qu'on lui commande…

Bartholo
Votre zèle n'attend pas ! Que direz-vous, monsieur le zélé, à ce malheureux qui bâille et dort tout éveillé ? et à l'autre qui, depuis trois heures, éternue à se faire sauter le crâne et jaillir la cervelle ! que leur direz-vous ?

Figaro
Ce que je leur dirai ?

Bartholo
Oui !

Figaro
Je leur dirai… Eh ! parbleu, je dirai à celui qui éternue, Dieu vous bénisse ; et Va te coucher à celui qui bâille. Ce n'est pas cela, monsieur, qui grossira le mémoire.

Bartholo
Vraiment non ; mais c'est la saignée et les médicaments qui le grossiraient, si je voulais y entendre. Est-ce par zèle aussi que vous avez empaqueté les yeux de ma mule ? et votre cataplasme lui rendra-t-il la vue ?

Figaro
S'il ne lui rend pas la vue, ce n'est pas cela non plus qui l'empêchera d'y voir.

Bartholo
Que je le trouve sur le mémoire !… On n'est pas de cette extravagance-là.

Figaro
Ma foi ! monsieur, les hommes n'ayant guère à choisir qu'entre la sottise et la folie, où je ne vois pas de profit, je veux au moins du plaisir ; et vive la joie ! Qui sait si le monde durera encore trois semaines ?

Bartholo
Vous feriez bien mieux, monsieur le raisonneur, de me payer mes cent écus et les intérêts sans lanterner : je vous en avertis.

Figaro
Doutez-vous de ma probité, monsieur ? Vos cent écus ! j'aimerais mieux vous les devoir toute ma vie que de les nier un seul instant.

Bartholo
Et dites-moi un peu comment la petite Figaro a trouvé les bonbons que vous lui avez portés ?

Figaro
Quels bonbons ? que voulez-vous dire ?

Bartholo
Oui, ces bonbons, dans ce cornet fait avec cette feuille de papier à lettre, ce matin.

Figaro
Diable emporte si…

Rosine (l'interrompant.)
Avez-vous eu soin au moins de les lui donner de ma part, monsieur Figaro ? Je vous l'avais recommandé.

Figaro
Ah, ah ! les bonbons de ce matin ? Que je suis bête, moi ! j'avais perdu tout cela de vue… Oh ! excellents, madame ! admirables !

Bartholo
Excellents ! admirables ! Oui, sans doute, monsieur le barbier, revenez sur vos pas ! Vous faites là un joli métier, monsieur !

Figaro
Qu'est-ce qu'il a donc, monsieur ?

Bartholo
Et qui vous fera une belle réputation, monsieur !

Figaro
Je la soutiendrai, monsieur.

Bartholo
Dites que vous la supporterez, monsieur.

Figaro
Comme il vous plaira, monsieur.

Bartholo
Vous le prenez bien haut, monsieur ! Sachez que quand je dispute avec un fat, je ne lui cède jamais.

Figaro (lui tourne le dos.)
Nous différons en cela, monsieur ; moi, je lui cède toujours.

Bartholo
Hein ? qu'est-ce qu'il dit donc, bachelier ?

Figaro
C'est que vous croyez avoir affaire à quelque barbier de village, et qui ne sait manier que le rasoir ? Apprenez, monsieur, que j'ai travaillé de la plume à Madrid, et que, sans les envieux…

Bartholo
Eh ! que n'y restiez-vous, sans venir ici changer de profession ?

Figaro
On fait comme on peut : mettez-vous à ma place.

Bartholo
Me mettre à votre place ! Ah ! parbleu, je dirais de belles sottises !

Figaro
Monsieur, vous ne commencez pas trop mal ; je m'en rapporte à votre confrère qui est là rêvassant…

Le Comte (revenant à lui.)
Je… je ne suis pas le confrère de monsieur.

Figaro
Non ? Vous voyant ici à consulter, j'ai pensé que vous poursuiviez le même objet.

Bartholo (en colère.)
Enfin, quel sujet vous amène ? Y a-t-il quelque lettre à remettre encore ce soir à madame ? Parlez, faut-il que je me retire ?

Figaro
Comme vous rudoyez le pauvre monde ! Eh ! parbleu, monsieur, je viens vous raser, voilà tout : n'est-ce pas aujourd'hui votre jour ?

Bartholo
Vous reviendrez tantôt.

Figaro
Ah ! oui, revenir ! Toute la garnison prend médecine demain matin, j'en ai obtenu l'entreprise par mes protections. Jugez donc comme j'ai du temps à perdre ! Monsieur passe-t-il chez lui ?

Bartholo
Non, monsieur ne passe point chez lui. Eh ! mais… qui empêche qu'on ne me rase ici ?

Rosine ( avec dédain.)
Vous êtes honnête ! Et pourquoi pas dans mon appartement ?

Bartholo
Tu te fâches ? Pardon, mon enfant, tu vas achever de prendre ta leçon ; c'est pour ne pas perdre un instant le plaisir de t'entendre.

Figaro (bas au comte.)
On ne le tirera pas d'ici. (Haut.)
Allons, l'Éveillé ? la Jeunesse ? le bassin, de l'eau, tout ce qu'il faut à monsieur !

Bartholo
Sans doute, appelez-les ! Fatigués, harassés, moulus de votre façon, n'a-t-il pas fallu les faire coucher ?

Figaro
Eh bien ! j'irai tout chercher. N'est-ce pas dans votre chambre ? (Bas au comte.)
Je vais l'attirer dehors.

Bartholo ( détache son trousseau de clefs, et dit par réflexion :)
Non, non, j'y vais moi-même. (Bas au comte, en s'en allant.)
Ayez les yeux sur eux, je vous prie.

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