ACTE QUATRIÈME - Scène I


(Le théâtre est obscur.)


(BARTHOLO, don BASILE, une lanterne de papier à la main.)

Bartholo
Comment, Basile, vous ne le connaissez pas ? ce que vous dites est-il possible ?

Basile
Vous m'interrogeriez cent fois que je vous ferais toujours la même réponse. S'il vous a remis la lettre de Rosine, c'est sans doute un des émissaires du comte. Mais, à la magnificence du présent qu'il m'a fait, il se pourrait que ce fût le comte lui-même.

Bartholo
Quelle apparence ? Mais, à propos de ce présent, eh ! pourquoi l'avez-vous reçu ?

Basile
Vous aviez l'air d'accord ; je n'y entendais rien ; et, dans les cas difficiles à juger, une bourse d'or me paraît toujours un argument sans réplique. Et puis, comme dit le proverbe, ce qui est bon à prendre…

Bartholo
J'entends : est bon…

Basile
À garder.

Bartholo (surpris.)
Ah ! ah !

Basile
Oui, j'ai arrangé comme cela plusieurs petits proverbes avec des variations. Mais, allons au fait : à quoi vous arrêtez-vous ?

Bartholo
En ma place, Basile, ne feriez-vous pas les derniers efforts pour la posséder ?

Basile
Ma foi non, docteur. En toute espèce de biens, posséder est peu de chose ; c'est jouir qui rend heureux : mon avis est qu'épouser une femme dont on n'est point aimé, c'est s'exposer…

Bartholo
Vous craindriez les accidents ?

Basile
Hé, hé, monsieur… on en voit beaucoup cette année. Je ne ferais point violence à son cœur.

Bartholo
Votre valet, Basile. Il vaut mieux qu'elle pleure de m'avoir, que moi je meure de ne l'avoir pas.

Basile
il y va de la vie ? Épousez, docteur, épousez.

Bartholo
Ainsi ferai-je, et cette nuit même.

Basile
Adieu donc. — Souvenez-vous, en parlant à la pupille, de les rendre tous plus noirs que l'enfer.

Bartholo
Vous avez raison.

Basile
La calomnie, docteur, la calomnie ! Il faut toujours en venir là.

Bartholo
Voici la lettre de Rosine que cet Alonzo m'a remise, et il m'a montré, sans le vouloir, l'usage que j'en dois faire auprès d'elle.

Basile
Adieu : nous serons tous ici à quatre heures.

Bartholo
Pourquoi pas plus tôt ?

Basile
Impossible ; le notaire est retenu.

Bartholo
Pour un mariage ?

Basile
Oui, chez le barbier Figaro ; c'est sa nièce qu'il marie.

Bartholo
Sa nièce ? Il n'en a pas.

Basile
Voilà ce qu'ils ont dit au notaire.

Bartholo
Ce drôle est du complot : que diable !…

Basile
Est-ce que vous penseriez…

Bartholo
Ma foi, ces gens-là sont si alertes ! Tenez, mon ami, je ne suis pas tranquille. Retournez chez le notaire. Qu'il vienne ici sur-le-champ avec vous.

Basile
Il pleut, il fait un temps du diable ; mais rien ne m'arrête pour vous servir. Que faites-vous donc ?

Bartholo
Je vous reconduis ; n'ont-ils pas fait estropier tout mon monde par ce Figaro ! Je suis seul ici.

Basile
J'ai ma lanterne.

Bartholo
Tenez, Basile, voilà mon passe-partout ; je vous attends, je veille ; et vienne qui voudra, hors le notaire et vous, personne n'entrera de la nuit.

Basile
Avec ces précautions, vous êtes sûr de votre fait.

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