ACTE TROISIÈME - Scène XV



(LE CHEVALIER, LA MARQUISE.)

Le Chevalier (prend de longs détours.)
Je viens prendre congé de vous, et vous dire adieu, madame.

La Marquise
Vous, monsieur le chevalier ? et où allez-vous donc ?

Le Chevalier
Où j'allais quand vous m'avez arrêté.

La Marquise
Mon dessein n'était pas de vous arrêter pour si peu de temps.

Le Chevalier
Ni le mien de vous quitter si tôt, assurément.

La Marquise
Pourquoi donc me quittez-vous ?

Le Chevalier
Pourquoi je vous quitte ? Eh ! marquise, que vous importe de me perdre, dès que vous épousez le comte ?

La Marquise
Tenez, chevalier, vous verrez qu'il y a encore du malentendu dans cette querelle-là : ne précipitez rien, je ne veux point que vous partiez, j'aime mieux avoir tort.

Le Chevalier
Non, marquise, c'en est fait ; il ne m'est plus possible de rester, mon cœur ne serait plus content du vôtre.

La Marquise (avec douleur.)
Je crois que vous vous trompez.

Le Chevalier
Si vous saviez combien je vous dis vrai ! combien nos sentiments sont différents !…

La Marquise
Pourquoi différents ? Il faudrait donner un peu plus d'étendue à ce que vous dites là, chevalier ; je ne vous entends pas bien.

Le Chevalier
Ce n'est qu'un seul mot qui m'arrête.

La Marquise (avec un peu d'embarras.)
Je ne puis deviner, si vous ne me le dites.

Le Chevalier
Tantôt je m'étais expliqué dans un billet que je vous avais écrit.

La Marquise
À propos de billet, vous me faites ressouvenir que l'on m'en a apporté un quand vous êtes venu.

Le Chevalier (intrigué.)
Et de qui est-il, madame ?

La Marquise
Je vous le dirai. (Elle lit.)
Je devais, madame, regretter Angélique toute ma vie ; cependant, le croiriez-vous ? je pars aussi pénétré d'amour pour vous que je le fus jamais pour elle.

Le Chevalier
Ce que vous lisez là, madame, me regarde-t-il ?

La Marquise
Tenez, chevalier, n'est-ce pas là le mot qui vous arrête ?

Le Chevalier
C'est mon billet ! Ah ! marquise, que voulez-vous que je devienne ?

La Marquise
Je rougis, chevalier ; c'est vous répondre.

Le Chevalier (lui baisant la main.)
Mon amour pour vous durera autant que ma vie.

La Marquise
Je ne vous le pardonne qu'à cette condition-là.

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