ACTE PREMIER - Scène XIV
(LUBIN, HORTENSIUS.)
Hortensius
Eh bien, mon garçon, je vous attends.
Lubin
Un petit moment d'audience, monsieur le docteur Hortus.
Hortensius
Hortensius Hortensius ; ne défigurez point mon nom.
Lubin
Qu'il reste comme il est, je n'ai pas envie de lui gâter la taille.
Hortensius
Je le crois ; mais que voulez-vous ? (À part.)
Il faut gagner la bienveillance de tout le monde.
Lubin
Vous apprenez la morale et la philosophie à la marquise ?
Hortensius
Oui.
Lubin
À quoi cela sert-il ? ces choses-là…
Hortensius
À purger l'âme de toutes ses passions.
Lubin
Tant mieux ; faites-moi prendre un doigt de cette médecine-là, contre ma mélancolie.
Hortensius
Est-ce que vous avez du chagrin ?
Lubin
Tant, que j'en mourrais, sans le bon appétit qui me sauve.
Hortensius
Vous avez là un puissant antidote : je vous dirai pourtant, mon ami, que le chagrin est toujours inutile, parce qu'il ne remédie à rien, et que la raison doit être notre règle dans tous les états.
Lubin
Ne parlons point de raison, je la sais par cœur, celle-là ; purgez-moi plutôt avec de la morale.
Hortensius
Je vous en dis, et de la meilleure.
Lubin
Elle ne vaut donc rien pour mon tempérament ? Servez-moi de la philosophie.
Hortensius
Ce serait à peu près la même chose.
Lubin
Voyons donc les belles-lettres.
Hortensius
Elles ne vous conviendraient pas : mais quel est votre chagrin ?
Lubin
C'est l'amour.
Hortensius
Oh ! la philosophie ne veut pas qu'on prenne d'amour.
Lubin
Oui ; mais quand il est pris, que veut-elle qu'on en fasse ?
Hortensius
Qu'on y renonce, qu'on le laisse là.
Lubin
Qu'on le laisse là ? Et s'il ne s'y tient pas ? car il court après vous.
Hortensius
Il faut fuir de toutes ses forces.
Lubin
Bon ! quand on a de l'amour, est-ce qu'on a des jambes ? la philosophie en fournit donc ?
Hortensius
Elle nous donne d'excellents conseils.
Lubin
Des conseils ? Ah ! le triste équipage pour gagner pays !
Hortensius
Écoutez, voulez-vous un remède infaillible ? vous pleurez une maîtresse, faites-en une autre.
Lubin
Eh ! morbleu, que ne parlez-vous ? voilà qui est bon, cela. Gageons que c'est avec cette morale-là que vous traitez la marquise, qui va se marier avec monsieur le comte ?
Hortensius (étonné.)
Elle va se marier, dites-vous ?
Lubin
Assurément ; et si nous avions voulu d'elle, nous l'aurions eue par préférence, car Lisette nous l'a offerte.
Hortensius
Êtes-vous bien sûr de ce que vous me dites ?
Lubin
À telles enseignes, que Lisette nous a ensuite proposé de nous retirer, parce que nous sommes tristes, et que vous êtes un peu pédant, à ce qu'elle dit, et qu'il faut que la marquise se tienne en joie.
Hortensius (à part.)
Benè, benè ; je te rends grâce, ô fortune ! de m'avoir instruit de cela. Je me trouve bien ici, ce mariage m'en chasserait ; mais je vais soulever un orage qu'on ne pourra vaincre.
Lubin
Que marmottez-vous là dans vos dents, docteur ?
Hortensius
Rien ; allons toujours chercher les livres, car le temps presse.