ACTE PREMIER - Scène XI



(LE CHEVALIER, LISETTE, LUBIN.)

Le Chevalier
Faites entendre raison aux gens, voilà ce qui en arrive ; assurément, cela est original, il me quitte aussi froidement que s'il quittait un rival.

Lubin
Eh bien, tout coup vaille ! il ne faut jurer de rien dans la vie, cela dépend des fantaisies ; fournissez-vous toujours, et vive les provisions ! n'est-ce pas, Lisette ?

Le Chevalier
Oserais-je, monsieur le chevalier, vous parler à cœur ouvert ?

Le Chevalier
Parlez.

Le Chevalier
Mademoiselle Angélique est perdue pour vous.

Le Chevalier
Je ne le sais que trop.

Le Chevalier
Madame la marquise est riche, jeune et belle.

Lubin
Cela est friand.

Le Chevalier
Après ?

Lisette
Eh bien, monsieur le chevalier, tantôt vous l'avez vue soupirer de ses afflictions, n'auriez-vous pas trouvé qu'elle a bonne grâce à soupirer ? je crois que vous m'entendez ?

Lubin
Courage, monsieur.

Le Chevalier
Expliquez-vous ; qu'est-ce que cela signifie, que j'ai de l'inclination pour elle ?

Lisette
Pourquoi non ? je le voudrais de tout mon cœur ; dans l'état où je vois ma maîtresse, que m'importe par qui elle en sorte, pourvu qu'elle épouse un honnête homme ?

Lubin
C'est ma foi bien dit ; il faut être honnête homme pour l'épouser ; il n'y a que les malhonnêtes gens qui ne l'épouseront point.

Le Chevalier ( froidement.)
Finissons, je vous prie, Lisette.

Lisette
Eh bien, monsieur, sur ce pied-là, que n'allez-vous vous ensevelir dans quelque solitude où l'on ne vous voie point ? Si vous saviez combien aujourd'hui votre physionomie est bonne à porter dans un désert, vous auriez le plaisir de n'y trouver rien de si triste qu'elle. Tenez, monsieur, l'ennui, la langueur, la désolation, le désespoir, avec un air sauvage brochant sur le tout, voilà le noir tableau que représente actuellement votre visage ; et je soutiens que la vue en peut rendre malade, et qu'il y a conscience à la promener par le monde. Ce n'est pas là tout : quand vous parlez aux gens, c'est du ton d'un homme qui va rendre les derniers soupirs ; ce sont des paroles qui traînent, qui vous engourdissent, qui ont un poison froid qui glace l'âme, et dont je sens que la mienne est gelée ; je n'en peux plus, et cela doit vous faire compassion. Je ne vous blâme pas ; vous avez perdu votre maîtresse, vous vous êtes voué aux langueurs, vous avez fait vœu d'en mourir ; c'est fort bien fait, cela édifiera le monde, on parlera de vous dans l'histoire ; vous serez excellent à être cité, mais vous ne valez rien à être vu ; ayez donc la bonté de nous édifier de plus loin.

Le Chevalier
Lisette je pardonne au zèle que vous avez pour votre maîtresse ; mais votre discours ne me plaît point.

Lubin
Il est incivil.

Le Chevalier
Mon voyage est rompu ; on ne change pas à tout moment de résolution, et je ne partirai point ; à l'égard de monsieur le comte, je parlerai en sa faveur à votre maîtresse ; et s'il est vrai, comme je le préjuge, qu'elle ait du penchant pour lui, ne vous inquiétez de rien, mes visites ne seront pas fréquentes, et ma tristesse ne gâtera rien ici.

Lisette
N'avez-vous que cela à me dire, monsieur ?

Le Chevalier
Que pourrais-je vous dire davantage ?

Lisette
Adieu, monsieur ; je suis votre servante.

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