ACTE PREMIER - Scène X



(Lisette LE COMTE, LE CHEVALIER, LUBIN.)

Le Comte
J'allais chez vous, chevalier, et j'ai su de Lisette que vous étiez ici ; elle m'a dit votre affliction, et je vous assure que j'y prends beaucoup de part ; il faut tâcher de se dissiper.

Le Chevalier
Cela n'est pas aisé, monsieur le comte.

Lubin (faisant un sanglot.)
Eh !

Le Chevalier
Tais-toi.

Le Comte
Que lui est-il donc arrivé à ce pauvre garçon ?

Le Chevalier
Il a, dit-il, du chagrin de ce que je ne pars point, comme je l'avais résolu.

Lubin (riant.)
Et pourtant je suis bien aise de rester, à cause de Lisette.

Lisette
Cela est galant : mais, monsieur le chevalier, venons à ce qui nous amène, monsieur le comte et moi. J'étais sous le berceau pendant votre conversation avec madame la marquise, et j'en ai entendu une partie sans le vouloir ; votre voyage est rompu, ma maîtresse vous a conseillé de rester, vous êtes tous deux dans la tristesse, et la conformité de vos sentiments fera que vous vous verrez souvent. Je suis attachée à ma maîtresse, plus que je ne saurais vous le dire, et je suis désolée de voir qu'elle ne veut pas se consoler, qu'elle soupire et pleure toujours ; à la fin elle n'y résistera pas : n'entretenez point sa douleur, tâchez même de la tirer de sa mélancolie ; voilà monsieur le comte qui l'aime, vous le connaissez, il est de vos amis, madame la marquise n'a point de répugnance à le voir ; ce serait un mariage qui conviendrait. Je tâche de le faire réussir ; aidez-nous de votre côté, monsieur le chevalier ; rendez ce service à votre ami ; servez ma maîtresse elle-même.

Le Chevalier
Mais, Lisette, ne me dites-vous pas que madame la marquise voit le comte sans répugnance ?

Le Comte
Mais, sans répugnance, cela veut dire qu'elle me souffre ; voilà tout.

Lisette
Et qu'elle reçoit vos visites.

Le Chevalier
Fort bien ; mais s'aperçoit-elle que vous l'aimez ?

Le Comte
Je crois que oui.

Lisette
De temps en temps, de mon côté, je glisse de petits mots, afin qu'elle y prenne garde.

Le Chevalier
Mais, vraiment, ces petits mots-là doivent faire un grand effet, et vous êtes entre de bonnes mains, monsieur le comte. Et que vous dit la marquise ? vous répond-elle d'une façon qui promette quelque chose ?

Le Comte
Jusqu'ici, elle me traite avec beaucoup de douceur.

Le Chevalier
Avec douceur ! Sérieusement ?

Le Comte
Il me le paraît.

Le Chevalier ( brusquement.)
Mais sur ce pied-là, vous n'avez donc pas besoin de moi ?

Le Comte
C'est conclure d'une manière qui m'étonne.

Le Chevalier
Point du tout, je dis fort bien ; on voit votre amour, on le souffre, on y fait accueil, apparemment qu'on s'y plaît ; et je gâterais peut-être tout si je m'en mêlais : cela va tout seul.

Lisette
Je vous avoue que voilà un raisonnement auquel je n'entends rien.

Le Comte
J'en suis aussi surpris que vous.

Le Chevalier
Ma foi, monsieur le comte, je faisais tout pour le mieux ; mais puisque vous le voulez, je parlerai, il en arrivera ce qu'il pourra : vous le voulez ; malgré mes bonnes raisons, je suis votre serviteur et votre ami.

Le Comte
Non, monsieur, je vous suis bien obligé, et vous aurez la bonté de ne rien dire ; j'irai mon chemin. Adieu, Lisette, ne m'oubliez pas ; puisque madame la marquise a des affaires, je reviendrai une autre fois.

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