(Placidie, Lucile.)
PLACIDIE
Quoi, pour un trône offert par l'hymen qu'on propose
Aux soins d'Eucherius je devrois quelque chose,
Et lui donnerois droit de pouvoir se flatter
D'avoir prêté la main à m'y faire monter ?
Non, non, quand son conseil m'assure une couronne,
Je me dois le refus dont la fierté t'étonne,
Et tu prétends en vain que je puisse aujourd'hui
Faire paroître une âme aussi basse que lui.
LUCILE
Quelle bassesse d'âme éclate dans ce zèle
Dont l'ardeur toute pure au trône vous appelle ?
Sans trop d'emportement, qu'y pouvez-vous blâmer ?
PLACIDIE
La lâcheté d'un cœur qui feignit de m'aimer,
Et qui du plus beau feu s'imposant la contrainte,
En affecta les soins sans en sentir l'atteinte.
LUCILE
Soupçonner dans le sien des sentiments si bas,
C'est en prendre pour lui qu'il ne mérite pas.
Sitôt qu'à vos souhaits on offre un diadème,
Il fait gloire pour vous de se trahir soi-même ;
D'un hymen qui le perd il va presser l'aveu,
Et dans ce grand effort vous doutez de son feu ?
PLACIDIE
Par un éclat trompeur cet effort t'a charmée.
On doit tout immoler à la personne aimée,
Mais d'un indigne sort le coup le plus fatal
Ne la fait point céder à l'espoir d'un rival.
Quand il faut que l'amour jusques-là se trahisse,
La révolte plaît mieux qu'un si grand sacrifice,
Et quelque âpre revers dont l'on soit combattu,
C'est aimer lâchement qu'avoir tant de vertu.
LUCILE
Et bien, sa lâcheté va jusques à l'extrême.
Si vous le haïssez, qu'importe qu'il vous aime,
Et par quel intérêt vous pouvez-vous fâcher
Qu'il affecte un amour qui ne vous peut toucher ?
PLACIDIE
Quel intérêt, hélas !
LUCILE
Votre cœur en soupire ?
PLACIDIE
Ce soupir t'en dit plus que je n'en voulois dire ;
Tu viens de trouver l'art de me le dérober.
Cache-toi la foiblesse où tu me vois tomber,
Lucile, et s'il se peut, te déguisant ma peine,
Prends un effet d'amour pour des marques de haine.
LUCILE
Vous, de l'amour, madame ?
PLACIDIE
Étonne, étonne-toi
De ce qu'il faut enfin confier à ta foi.
J'aime, et ce feu secret qui contraint ma franchise
L'eut combattue en vain s'il ne l'eut pas surprise ;
Il l'a pu d'autant mieux que contre son ardeur
Mon orgueil me sembla répondre de mon cœur,
Et me fit négliger le soin de me défendre
D'estimer un sujet indigne d'y prétendre.
Ainsi d'Eucherius le zèle officieux
Cent fois sur sa vertu sut arrêter mes yeux ;
J'en connus tout le prix, j'en goûtai tous les charmes,
Je m'en sentis émue, et n'en pris point d'alarmes ;
De l'éclat de mon sang la jalouse fierté
Au milieu du péril faisoit ma sûreté.
Sur un appui si faux mon âme trop crédule
D'un chagrin inquiet rejeta le scrupule,
Et ne voulut pas voir que sous ce piège adroit
L'estime bien souvent va plus loin qu'on ne croit.
J'en fis l'épreuve, hélas ! Quand je me crûs capable
De rendre cette estime un peu moins favorable.
Vers un penchant si doux tout mon cœur emporté
Trouva dans sa foiblesse une nécessité ;
D'un feu qu'il devoit craindre il eut beau voir l'amorce,
Il voulut le combattre, et n'en eut pas la force,
Et vit bien que l'amour qu'il tâchoit d'étouffer,
Avant qu'il se déclare, est sûr de triompher.
LUCILE
Mais si d'Eucherius l'hommage a su vous plaire,
Vous devez à ses vœux vous rendre moins contraire.
Pourquoi fuir un hymen qui les peut couronner ?
PLACIDIE
Tu me connois, Lucile, et peux t'en étonner ?
Je t'en ai fait l'aveu, j'aime, et pour mon supplice
De l'erreur de mes sens mon cœur s'est fait complice,
Et n'a pu résister à ces charmes flatteurs
Qu'étalent à l'envi de si doux imposteurs ;
Mais celles de mon rang, de leurs désirs maîtresses,
Savent purger l'amour de ses moindres foiblesses,
Et dérober sa flamme aux douceurs de l'espoir
Quand il trahit leur gloire, ou blesse leur devoir.
Eucherius me plaît ; mais ce que je suis née
Dans un si vaste orgueil pousse ma destinée,
Qu'un trône seul offert à mes brûlants désirs
Me peut faire sans honte avouer ses soupirs.
Mais que dis-je ! Sur lui si j'obtins quelque empire,
Par son lâche conseil il cherche à s'en dédire,
Et j'ai crû bien en vain qu'il avoit mérité
Les dédains où pour lui j'excitois ma fierté.
Oui, s'il t'en faut montrer l'aveuglement extrême,
Je ne l'ai dédaigné que parce que je l'aime,
Et qu'un pareil refus balançant son destin,
Lui pouvoit à l'empire ouvrir quelque chemin.
L'empereur Gratian pour une moindre cause
Daigna le partager avec Theodose,
Et ce fameux exemple eut pu seul aujourd'hui
Forcer Honorius à faire autant pour lui.
Les soins qu'eut Stilicon d'élever son enfance
Méritoient pour son fils cette reconnoissance,
Et ce n'est qu'à ce prix qu'osant me déclarer
J'eusse promis l'aveu qu'on lui fait espérer ;
Mais quand pour Alaric j'apprends qu'il s'intéresse,
Mon cœur ne sauroit trop condamner ma bassesse,
Et mon orgueil honteux qu'on ait pu l'abuser…
LUCILE
Écoutez-le, madame, avant que l'accuser ;
Le voici qui paroît.
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