(Honorius, Placidie.)
HONORIUS
Ma sœur, jusques ici j'ai voulu me défendre
Des sentiments d'aigreur que vous me faites prendre,
Et vu sans éclater qu'un indigne mépris
Des soins d'Eucherius ait été le seul prix.
Vous pouviez ignorer que dans cette entreprise
Par un appui secret mon aveu l'autorise,
Que lui seul de sa flamme a fait naître l'espoir ;
Mais enfin aujourd'hui qu'on vous l'a fait savoir,
Je ne saurois souffrir qu'un refus téméraire
Repousse avec audace un choix qui m'a su plaire,
Et comme en le bravant c'est moi que vous bravez,
J'apprends de votre orgueil ce que vous me devez.
S'il soutient trop en vous la dignité suprême,
Il expose à mes yeux les droits du diadème,
Et me force de voir que rien ne doit borner
Les ordres absolus que je vous puis donner ;
Que quoi qu'un même sang nous ait tous deux fait naître,
Qui ne parle qu'en frère a droit d'agir en maître,
Et que le rang auguste où je me vois monté
Pour régler mes projets n'a que ma volonté.
PLACIDIE
Je sais ce qu'entre nous, quoi qu'égaux de naissance,
L'avantage du trône a mis de différence,
Et je ne puis lui rendre un hommage plus grand
Que d'asservir mon cœur aux respects qu'il vous rend ;
Mais, seigneur, s'il est vrai que l'amour et la haine
D'un aveugle penchant soient la suite certaine,
Ces mouvements secrets qui naissent malgré nous
Sont des droits dont sans crime il peut être jaloux.
Comme votre aveu seul les doit laisser paroître,
Votre ordre ne peut rien pour les y faire naître,
Et ce cœur dont on cherche à confondre l'espoir,
S'il ne se donne pas, a peine à se devoir.
HONORIUS
Qu'a fait d'Eucherius la passion extrême
Que de presser ce cœur de se donner soi-même,
Et si de cet espoir il pouvoit se flatter,
Quels plus profonds respects l'auroient pu mériter ?
Vous l'avez vu cent fois dans l'ardeur qui l'engage
De sa flamme à vos pieds porter le pur hommage,
Et n'opposer jamais à vos cruels refus
Qu'une plainte étouffée, ou des soupirs confus.
PLACIDIE
S'il n'avoit que mon cœur à son espoir contraire,
Il pourroit obtenir le don que j'en puis faire ;
Mais ce cœur qu'en secret le vrai mérite émeut,
Ne s'ose pas toujours permettre ce qu'il veut.
Quelque doux sentiment qui tâche à le surprendre,
Il consulte ma gloire avant que de se rendre,
Et quand son intérêt l'oblige à l'étouffer,
Il la respecte assez pour n'en pas triompher.
HONORIUS
De votre gloire en vain le charme vous abuse,
Votre cœur fait le crime, elle preste l'excuse ;
L'éclat qu'elle en attend, et qu'il craint de trahir,
Se hasarde-t-il moins à me désobéir ?
Quoi que dans cet hymen vous crûssiez voir de lâche,
L'aveu que je lui donne en purgeroit la tache,
Et pour un bon sujet qui respecte les dieux,
L'ordre du souverain est toujours glorieux.
Mais sur quel plus beau choix auriez-vous pu me croire ?
Jamais plus de vertu ne soutint plus de gloire.
Stilicon que toujours ont craint nos ennemis,
Se verroit sans égal s'il n'avoit point de fils.
De mille exploits fameux le superbe avantage
En tous lieux à l'envi fait briller leur courage.
Est-ce pour mériter vos indignes refus ?
PLACIDIE
J'estime Stilicon, j'estime Eucherius,
J'estime en tous les deux la vertu qu'on m'oppose,
Mais j'estime encore plus le sang de Theodose,
Et périrois plutôt qu'on me vît consentir
Au moindre abaissement qui pût le démentir.
HONORIUS
Je l'ai donc démenti, quand épousant sa fille
J'ai mis par cet hymen le trône en sa famille,
Et l'orgueil qui vous fait dédaigner un beau feu
Est de ma lâcheté le secret désaveu ?
PLACIDIE
À qui que votre choix se fut rendu propice,
Vous eussiez pu, seigneur, faire une impératrice,
Mais si d'Eucherius j'ose flatter l'erreur,
Le faisant mon époux, en fais-je un empereur ?
Aux honneurs de sa sœur il n'a rien à prétendre,
Vous la faites monter quand il me fait descendre,
Et d'un auguste hymen le différent appui,
L'élevant jusqu'à vous, m'abaisse jusqu'à lui.
HONORIUS
Si l'éclat des grandeurs où le sang vous appelle
Oppose à son mérite une fierté rebelle,
Je le mettrois si haut que de moi seul jaloux,
Il baissera les yeux pour les jeter sur vous.
Alors de vos mépris l'injurieux caprice
Lui vaudra la douceur de s'en faire justice,
Et de voir que vos vœux à leur tour méprisez
Se flattent de l'espoir que vous lui refusez.
PLACIDIE
Faites-le devenir ce que l'on m'a vu naître,
Pour être près du trône aura-t-il moins un maître,
Et quand tout l'univers trembleroit sous sa loi,
Tant qu'il la prend d'un autre, est-il digne de moi ?
Pour mériter ce cœur où je le vois prétendre
il faudroit que mon sort de lui seul pût dépendre,
Et que du plus haut rang sa foi prenant l'appui,
N'eût rien à respecter entre les dieux et lui.
HONORIUS
Superbe, enfin craignez que ma juste colère…
PLACIDIE
J'abandonne mon sang s'il peut le satisfaire,
Seigneur, et vous pouvez, puisqu'il espère en vain,
Le venger par ma mort du refus de ma main ;
Mais portez la menace et le coup tout ensemble.
Un cœur né dans le trône ignore comme on tremble,
Et je souffrirai tout avant que me trahir
Jusqu'à prendre un époux qui me laisse obéir.
HONORIUS
Je vois ce qui vous perd ; la grandeur souveraine
Fait pour Eucherius votre plus forte haine.
Lui-même par excès de générosité
De votre ambition seconde la fierté.
Voyant tout votre cœur charmé du diadème,
Pour vous faire régner il se trahit soi-même,
Et si je l'en veux croire, un juste et prompt accord
Au trône d'Alaric élève votre sort.
PLACIDIE
Quoi, pour moi d'Alaric il presse l'hyménée ?
HONORIUS
Votre âme à cet appas s'est toute abandonnée,
Et de ce trône offert l'ambitieux espoir,
Séduisant vos désirs, corrompt votre devoir ;
Mais si de votre orgueil la chaleur inquiète
Cherche à vous affranchir du titre de sujette,
Ayant d'Eucherius à soutenir le choix,
À son amour trahi je sais ce que je dois ;
vous recevrez mon ordre.
PLACIDIE
il me faudra l'attendre,
Seigneur, mais cependant j'oserai vous apprendre
Qu'en vain par ses conseils il tâche à m'assurer
L'avantage d'un rang où j'ai droit d'aspirer.
Ce trône qu'il souhaite à mon impatience,
Le ciel sans son secours le doit à ma naissance,
Et mon cœur n'y voit rien qu'il n'aime à dédaigner
Pour lui ravir l'honneur de m'avoir fait régner.
HONORIUS
L'ambition trompée adoucit bien une âme,
Nous en verrons l'effet.
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