LEGRAINARD, MME LEGRAINARD, CÉLINE
(Ils sont attablés, à droite, autour du guéridon ; le déjeuner s'achève.)
MME LEGRAINARD(à son mari.)
Voyons!… as-tu bientôt fini de prendre ton café ?
LEGRAINARD
Un moment ! il est trop chaud.
MME LEGRAINARD
Alors pourquoi le demandes-tu toujours bouillant ?
LEGRAINARD
Pour le laisser refroidir… j'aspire l'arôme.
MME LEGRAINARD
Si tu crois que c'est amusant de te voir renifler pendant une heure.
LEGRAINARD
Le café se prend deux fois… premièrement par le nez, secondement…
MME LEGRAINARD
Oh ! que c'est agaçant, un homme comme ça !
LEGRAINARD
Voyons, calme-toi ; tiens, mange des noix, ça occupe.
MME LEGRAINARD
J'ai fini ! je n'ai plus faim.
(Elle se lève et arpente la scène, les mains derrière le dos.)
LEGRAINARD(à part.)
Elle monte sa faction.
MME LEGRAINARD(s'arrêtant tout à coup.)
Ce qui me crispe, c'est de voir ta fille.
CÉLINE
Moi, maman ? Qu'est-ce que j'ai fait?
MME LEGRAINARD
Elle est là, en arrêt devant ta tasse… immobile… comme une momie.
CÉLINE
Ah !
LEGRAINARD
Ma femme !
MME LEGRAINARD
Ma parole, je ne sais pas en quoi vous êtes bâtis tous les deux!
CÉLINE
Je ne peux pourtant pas forcer papa à se brûler. Si son café est trop chaud !
MME LEGRAINARD
Chaud ! ce café-là ? (Elle prend la tasse et l'avale d'un trait.)
Tiens, voilà comme il est chaud ! Oeuvre du Domaine public – Version retraitée par Libre Théâtre
LEGRAINARD
Et je m'en passerai, moi ? Ah ! mais tu me la fais trop souvent, celle-là !… (Se levant et venant à elle.)
Mais, sacrebleu!… si tu aimes le café, commandes-en deux tasses !
MME LEGRAINARD
Moi ? je ne peux pas le voir en face.
LEGRAINARD
Alors, tourne-lui le dos !
MME LEGRAINARD
Bah, un mouvement d'impatience.
LEGRAINARD
Ah! voilà, l'impatience!… Certainement tu as mille qualités… D'abord tu m'aimes.
(Pendant ce qui suit, Céline débarrasse le guéridon et porte les différents objets dans la coulisse de droite.)
MME LEGRAINARD
Taisez-vous.
LEGRAINARD
Je sais ce que je dis… mais ce n'est pas du sang que tu as dans les veines… C'est du salpêtre… et puis tu as un défaut terrible.
MME LEGRAINARD
Lequel ?
LEGRAINARD
C'est ta main.
CÉLINE(continuant de ranger.)
Ah ! oui, par exemple.
LEGRAINARD
C'est la foudre, elle part comme une bombe et retombe comme une grêle.
MME LEGRAINARD
Ne parlons pas de ça.
LEGRAINARD
Que tu me gifles, moi, passe encore… Nous autres hommes, nous avons des moyens de nous venger.
MME LEGRAINARD
Taisez-vous.
LEGRAINARD
Je sais ce que je dis ! mais que tu gifles mes ouvrières, c'est une autre histoire ; avec ta pétulance, tu as failli compromettre la prospérité de notre fabrique de fleurs artificielles, dont je t'avais donné la direction… Tu entrais dans l'atelier, et, à la moindre observation… v'li! v'lan!… ce n'est pas du commerce, ça.
MME LEGRAINARD
Des flâneuses, ça les faisait travailler.
(Céline descend en scène à côté de son père.)
Oeuvre du Domaine public – Version retraitée par Libre Théâtre
LEGRAINARD
Ça les faisait mettre en grève, et nous ne trouvions plus personne pour les remplacer ; c'est alors que je t'ai priée de ne plus te mêler des affaires… et que j'ai placé Céline à la tête de l'atelier… Nous prenons ces demoiselles par la douceur, nous… nous ne les giflons pas, nous… quand elles nous demandent de l'augmentation… nous leur donnons… de bonnes paroles, nous, et notre petit commerce marche très bien.
MME LEGRAINARD
Ça, j'avoue que j'ai la main un peu leste… Tu n'as pas des commissions à me donner ? Je sors.
LEGRAINARD
Non, où vas-tu ?
MME LEGRAINARD
À la Préfecture de police, au bureau des objets perdus.
CÉLINE
Tu as perdu quelque chose, maman ?
MME LEGRAINARD
Oui, hier au soir, dans l'omnibus, je me suis trouvée à côté d'un polisson.
LEGRAINARD
Qu'est-ce qu'il t'a dit ?
MME LEGRAINARD
Figure-toi… (Apercevant sa fille.)
Céline, mon enfant, va donc voir si ces demoiselles sont à l'ouvrage.
CÉLINE
Oui, maman. (À part.)
C'est ennuyeux!… J'aurais voulu savoir ce que maman a perdu.
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Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
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