LEGRAINARD, RÉGALAS.
LEGRAINARD(revenant et descendant à droite.)
Charmante femme !
RÉGALAS(paraît au fond, tenant un sac en cuir.)
Pardon!… Mme Legrainard, s'il vous plaît?
LEGRAINARD
C'est ici… c'est ma femme.
RÉGALAS
Ah ! cette dame est mariée ? Tant mieux, ça m'arrange.
LEGRAINARD
Ça vous arrange, pourquoi?
RÉGALAS
Nous causerons de ça tout à l'heure… Monsieur, je rapporte le sac.
LEGRAINARD
Comment !… celui qu'elle a oublié hier dans l'omnibus ?
RÉGALAS
Je me suis permis de l'ouvrir pour savoir à qui il appartenait, j'ai trouvé votre nom, votre adresse… et quarante-six francs vingt-cinq; le tout est intact.
(Il donne le sac à Legrainard.)
LEGRAINARD
Ah ! monsieur, que de remerciements. (À part.)
Je n'ose pas lui offrir de récompense… Je vais lui faire une phrase… (Haut.)
Ah ! monsieur, ils sont rares dans le siècle où nous sommes, les hommes qui rapportent le sac.
RÉGALAS
Maintenant que j'ai satisfait aux lois de la probité, parlons de notre affaire.
LEGRAINARD
Quelle affaire?
RÉGALAS
Elle a la main vigoureuse, madame votre épouse.
LEGRAINARD
Comment ! c'est vous qui avez reçu… ? Oeuvre du Domaine public – Version retraitée par Libre Théâtre
RÉGALAS
Dans l'œil, oui, monsieur.
LEGRAINARD
Convenez que vous l'aviez bien mérité…
RÉGALAS
Moi ?
LEGRAINARD
On ne chatouille pas comme ça le pied des dames… à moins d'en avoir obtenu la permission.
RÉGALAS
Pardon!… de quoi me parlez-vous?
LEGRAINARD
Faites donc l'étonné ! Pourquoi vous êtes-vous baissé dans l'omnibus ?
RÉGALAS
Parce que ma chienne… une chienne javanaise que j'avais cachée sous la banquette, ne voulait pas rester tranquille ; alors, pour la calmer, je la caressais en lui disant : "Belle petite ! belle petite !"
LEGRAINARD
Je comprends, ma femme avait ses souliers fourrés… vous les avez pris pour votre chienne… C'est très drôle! "Belle petite!" c'est très drôle !
RÉGALAS
Vous trouvez ça drôle?… Mais j'ai reçu un soufflet, monsieur !
LEGRAINARD
C'est une erreur!… D'ailleurs, un soufflet de la main d'une jolie femme…
RÉGALAS
Ah! elle est jolie, madame votre épouse ?
LEGRAINARD
Jolie, non ; gentillette ! Quand par hasard elle s'exerce sur ma joue… car c'est sa petite manie… je ne me fâche pas, moi…
RÉGALAS
Vous le lui rendez ?
LEGRAINARD
Ah!… non… Je l'embrasse.
RÉGALAS
Tiens !
LEGRAINARD(gaillardement.)
Un soufflet de femme demande un baiser… c'est un axiome…
RÉGALAS
Eh bien!… monsieur… ça me va.
LEGRAINARD
Quoi ?… qu'est-ce qui vous va ?
RÉGALAS
Je consens à embrasser Madame.
LEGRAINARD
Ma femme ?… Quelle plaisanterie ! Oeuvre du Domaine public – Version retraitée par Libre Théâtre
RÉGALAS
Ne croyez pas que ce soit par dévergondage, au moins… Je n'ai pas l'honneur de connaître Madame… elle ne me dit rien… mais c'est un moyen honorable d'étouffer l'affaire…
LEGRAINARD(remontant un peu.)
Un moyen ! Honorable ! Je m'y oppose… Jamais…
RÉGALAS(passant à droite.)
Alors, monsieur, il faudra que nous nous battions.
LEGRAINARD
Moi ? Par exemple !
RÉGALAS
Je ne puis croiser le fer avec Madame, vous êtes responsable des faits et gestes de madame votre épouse ; j'ai reçu un soufflet… et devant témoins.
LEGRAINARD
Oh ! des gens que vous ne connaissez pas.
RÉGALAS
Pardon ! j'étais dans l'omnibus avec un de mes amis, un jeune homme d'Épinal. Un Épinalais… ou un Épinalois… comme vous voudrez.
LEGRAINARD
Moi, ça m'est égal.
RÉGALAS
Il m'a dit : "Mon cher, si tu gardes cela… tu es un homme perdu… nos camarades le sauront et ils te chasseront de l'atelier."
LEGRAINARD
Monsieur est ouvrier ?
RÉGALAS
Je suis peintre, monsieur.
LEGRAINARD
Ah !
RÉGALAS
Je réussis surtout le portrait… Si vous avez quelqu'un dans vos connaissances, qui désire se faire faire… voici mon prix : à l'huile, c'est quarante francs.
LEGRAINARD
Eh ! monsieur…
RÉGALAS
C'est juste ! terminons d'abord notre affaire. Qu'est-ce que vous décidez ? J'embrasse ou j'embroche… je ne sors pas de là.
LEGRAINARD
Mon Dieu, monsieur, je ne suis pas préparé. Je ne pouvais m'attendre à une demande tout à fait inusitée… dans les salons… Si ma femme consent, je ne demande pas mieux… pourvu que cela se passe devant moi.
RÉGALAS
Oh ! vous ne me gênerez pas.
Oeuvre du Domaine public – Version retraitée par Libre Théâtre
LEGRAINARD
Je vous demande la permission d'aller en conférer avec elle.
RÉGALAS
Comment donc… c'est trop juste.
LEGRAINARD
Je reviens dans cinq minutes ; veuillez prendre la peine de vous asseoir. (À part, en sortant.)
Embrasser le monsieur qui lui a caressé le pied… elle ne voudra jamais, jamais, jamais !
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