(LA COMTESSE, LE VICOMTE, LE MARQUIS, VIRGINIE)
La comtesse
Et bien, mon rapporteur ?
Le vicomte
J'ai, pour le convertir, parlé mieux qu'un Docteur.
Et n'ai pas, Dieu merci, mal employé mes peines.
Il ne vous vuidera de plus de trois semaines,
Et pour solliciter il vous donne le temps
D'attendre le retour de nos deux Arcs-boutants.
Par là, n'en doutez point, votre affaire est gagnée.
La comtesse
Je puis donc de Paris me tenir éloignée ?
Le vicomte
De Paris ? Vous avez, la chose allant ainsi,
Encor quinze grands jours à demeurer ici.
Goûtez-y les plaisirs que donne la verdure.
Mais il faut vous conter quelle est mon aventure,
Voyez-m'en rire encor.
La comtesse
Cela ne va pas mal.
Le vicomte
Il n'est rien si plaisant.
Le marquis
Le franc original !
La comtesse
Enfin cette aventure ?
Le vicomte
Elle est aussi gaillarde…
La comtesse
En rirez-vous toujours ?
Le vicomte
La chose vous regarde.
C'est à vous là-dessus à vous l'imaginer.
Devinez-la.
La comtesse
Jamais je ne sus deviner.
On me dit tout au long ce qu'on veut que je sache.
Le vicomte
On croit duper les Gens, à cause qu'on se cache ;
Mais j'ai si bien tourné, que j'y suis parvenu.
La comtesse
À quoi ?
Le vicomte
Votre Inconnu ne m'est plus inconnu.
Le marquis
(bas.)
M'auroit-il découvert ?
La comtesse
Vous pourriez le connoître ?
Le vicomte
Moi, qui vous parle, moi.
Le marquis
Cela ne sauroit être.
Le vicomte
Non, parce qu'il vous plaît que cela ne soit pas.
Son amour fait honneur sans doute à vos appas ;
C'est, sans lui faire tort, une aussi franche bête…
Le marquis
Comment ? Vous l'avez vu ?
Le vicomte
Des pieds jusqu'à la tête.
Il est basset, grosset, a les yeux hébétés.
La comtesse
Mais où cette rencontre, et comment ?
Le vicomte
Écoutez.
Rêvant à vos beautés dont j'avois l'âme pleine,
Je me suis égaré dans la forêt prochaine,
Et voulant accourcir, mon cheval m'a mené
Dans le sentier confus d'un endroit détourné.
Quelques pas me montroient une route racée ;
J'ai suivi, tant qu'enfin une tente dressée
M'a fait appréhender le plus grand des malheurs.
J'ai cru qu'elle servoit d'auberge à des voleurs.
Le marquis
La peur prendroit à moins ; dans un bois ! Une tente !
Le vicomte
Tout franc, la vision n'est point divertissante.
La comtesse
Ainsi donc la frayeur a bien fait son devoir ?
Le vicomte
J'aurois été fâché de mourir sans vous voir,
Car pour du cœur, je crois que j'en avois de reste ;
Mais j'ai bientôt sorti d'un doute si funeste.
Mon Cheval tout à coup s'élançant malgré moi,
J'ai connu mon erreur, et ris de mon effroi.
Au lieu de Mousquetons, j'ai vu dans cette Tente
Les apprêts différents d'une Fête galante,
Et ceux qui la gardoient, de mon abord surpris,
Parloient certain jargon, où je n'ai rien compris.
C'étoient, pour la plupart, visages à la Suisse.
Chacun, selon son rôle, avoit là son office.
L'un, d'un Bohémien quittoit l'habillement ;
L'autre, d'une Coiffure ajustoit l'ornement.
Force mains autour d'eux paraissoient occupées
À nouer des Rubans sur des fleurs coupées.
J'ai dans un certain coin remarqué le débris
D'une Collation qui valoit bien son prix,
Grands citrons, fruits exquis, Confitures choisies.
J'ai vu des Violons, des Lustres, des Bougies,
J'ai vu… là, des… Enfin j'ai tant vu, que jamais
On n'eut tant d'attirail dans les plus grands Ballets.
J'ai donné droit au but, et deviné l'affaire.
Mais pour mieux m'éclaircir, penché vers l'un d'eux ; Frère,
Ai-je dit, n'a-t-on pas préparé tout ceci
Pour un certain Château qui n'est pas loin d'ici ?
Je l'embarrassois fort, il ne savoit que dire ;
Mais c'étoit dire assez, que se taire et sourire.
Je lui serrois toujours le bouton de fort près ;
Quand, comme si la chose eût été faite exprès,
Ce Grosset, ce Basset commençant à paroître ;
Vous êtres curieux, parlez à notre Maître,
Le voilà, m'a-t-il dit, tout à propos venu.
N'ayant pas à douter qu'il ne fût l'Inconnu,
J'ai contemplé longtemps sa grotesque figure.
Il avoit sur son nez jeté sa chevelure,
Et pour embarrasser mon curieux souci,
Sous une fausse barbe il cachoit tout ceci.
Alors plein d'un chagrin que d'assez justes causes…
Madame, pardonnez si j'ai poussé les choses.
Quand on voit qu'un Rival cherche à se rendre heureux,
Et qu'on peut l'épargner, on n'est guère amoureux.
Le marquis
Et qu'avez-vous donc fait ?
Le vicomte
Ce que j'ai fait ? Silence.
Je dirai tout par ordre, un peu de patience.
J'ai demandé d'où vient qu'il campoit dans ce Bois ?
Pourquoi la fausse barbe ? Enquis deux ou trois fois,
Et pressé de parler, plus il se vouloit taire ;
Pourquoi je campe ici ? Qu'en avez-vous à faire ?
C'est mon plaisir, m'a-t-il sottement répondu.
Alors d'un grand coup d'œil qu'il a bien entendu,
Lui marquant fièrement que je l'allois attendre,
Je me suis éloigné.
Le marquis
C'étoit fort bien le prendre.
Le vicomte
Me battre là ! Par tout j'aurois été blâmé.
Il avoit vingt Valets qui m'auroient assommé.
Le marquis
Il est bon quelquefois de voir comme on se fâche.
La comtesse
Et qu'est-il arrivé ?
Le vicomte
Je n'ai trouvé qu'un lâche,
Qu'un farouche Animal, sans cœur et sans vertu,
Qu'un… cela fait pitié.
Le marquis
Vous l'avez donc battu ?
Le vicomte
Vous me la baillez bonne ; il s'est en Bête fière
Tenu clos et couvert toujours dans sa tanière ;
Et moi, m'étant lassé de l'attendre à l'écart,
D'un coup de Pistolet j'ai marqué mon départ.
Le marquis
C'est pousser la bravoure aussi loin…
Le vicomte
Sur mon âme,
Tout y va, quand il faut dégainer.
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