L'Inconnu
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ACTE I - Scène V

Thomas Corneille

ACTE I - Scène V


(LA COMTESSE, OLIMPE, VIRGINIE, MELISSE)

La comtesse
Savez-vous que Dorante arrive ici ce soir ?

Olympe
Avouez que déjà vous brûlez de le voir.

La comtesse
Je ne le cache point, j'en aurai de la joie.

Olympe
Je ne sais plus de vous ce qu'il faut que je croie.
Les devoirs du Marquis ne vous déplaisent pas ;
Dans ceux de l'Inconnu vous trouvez quelque appas,
Et d'autres soupirants, aussitôt qu'ils arrivent,
Peuvent prétendre au cœur que tous les deux poursuivent.
C'est aller un peu loin.

La comtesse
De quoi vous étonner ?
Pour prétendre à mon cœur, me le font-ils donner ?
Croyez-moi, pour n'avoir nul reproche à se faire,
Il faut de sa conduite éloigner le mystère,
S'acquérir des Amis sans trop les rechercher,
Se divertir de tout, et ne point s'attacher.
C'est ainsi que j'en use, et je m'en trouve heureuse.
Point d'affaire de cœur qui me tienne rêveuse.
Tous ceux qu'un peu d'estime engage à m'en conter,
Me trouvent sans façon prête à les écouter.
Je vois avec plaisir leur différent génie ;
Et j'appelle cela recevoir compagnie.

Olympe
Mais en vous en contant, ils vous parlent d'aimer ?

La comtesse
Je n'y vois pas contre eux de quoi se gendarmer.
Est-il quelque entretien, hors de là, qui n'ennuie,
Et nous parleront-ils de beau temps, ou de pluie ?
Notre sexe partout fait des Adorateurs,
Et fut-ce la plus laide, on lui dit des douceurs.
Pour moi, qu'aucun aveu sur l'amour n'effarouche,
À personne jamais je ne ferme la bouche,
Et grossissant ma cour d'Esclaves différents,
J'écoute les soupirs, et ris des Soupirants.
Ce n'est pas, après tout, leur faire grande injure,
Ils ont beau de leurs maux nous tracer la peinture.
Tous ces empressements de belle passion
Souvent sont moins amour que conversation,
Et le plus languissant, quoi qu'il dise et proteste
A, tout prêt d'expirer, de la santé de reste.
Si sur nous quelquefois le murmure s'étend,
C'est pour ce que l'on fait, non pour ce qu'on entend ;
Et ces miroirs d'honneur, ces Prudes consommées,
Qui du seul nom d'amour se montre gendarmées,
Succomberoient bientôt à la tentation,
Puisqu'un mot sur leurs cœurs fait tant d'impression.
Jamais à prendre feu je n'ai l'âme si prompte.
Les déclarations ne sont pour moi qu'un conte,
Et quoi que mes Amants par là se soient promis,
Je ne vois, ne regarde en eux que mes Amis.
Je prends sur leur esprit un empire commode ;
Et s'ils m'aiment, il faut qu'ils vivent à ma mode.
L'un veille à mes Procès, l'autre à mes Bâtiments.

Olympe
Et comment accorder ce grand nombre d'Amants ?

La comtesse
Si c'est être coquette, au moins quoi qu'on en croie,
C'est l'être de bon sens, et vivre pour la joie.
Chacun cherche à me plaire, et ne promettant rien,
Je fais amas de cœurs sans engager le mien.
Comme à fuir le chagrin tous mes soins aboutissent,
Il n'est pas jusqu'aux Sots qui ne me divertissent,
Et dont le ridicule à pousser des soupirs
Ne me soit quelquefois un sujet de plaisirs.
Quoique Veuve, je suis peut-être encor d'un âge
À suivre l'humeur gaie où mon penchant m'engage.
J'en veux jouir ; jamais je n'aurai meilleur temps.
J'ai du bien, des Maisons à Paris comme aux Champs ;
Ma personne a de quoi ne pas déplaire, on m'aime,
Et tant que je voudrai me garder à moi-même,
Ne point prendre de Maître en prenant un Époux,
Mon sort égalera le destin le plus doux.

Olympe
C'est ce qu'encor longtemps vous aurez peine à faire.
Le Marquis n'est point fait d'un air à ne pas plaire,
Et vous estimez tant ce qu'il vous rend de soins,
Qu'il n'y va pour l'aimer, que du plus, ou du moins.
L'Inconnu peut d'ailleurs avoir touché votre âme ;
Et si par ce qu'il fait on juge de sa flamme,
Il est bien malaisé qu'un si parfoit Amant
N'ait mérité de vous un peu d'engagement.
Son cœur impatient de vous voir attendrie
Joint la magnificence à la galanterie,
Et les porte si loin, qu'on y voit chaque jour
Briller également et l'esprit et l'amour.

La comtesse
Il faut vous l'avouer, l'Inconnu m'embarrasse.
Ce qu'il ordonne est fait avecque tant de grâce,
Que je m'en sens touchée, et craindrois de l'aimer,
Si je le voyois tel qu'on peut le présumer.
J'admire chaque jour les détours qu'il emploie
Pour me faire agréer les Bouquets qu'il m'envoie.
Jamais si galamment rien ne fur concerté,
C'est toujours de l'adresse et de la nouveauté.
Cependant j'ai beau faire afin de le connoître.
Tous ses Gens sont muets sur le nom de leur Maître ;
Et même comme ils sont Étrangers la plupart,
Son secret avec eux ne court point de hasard.
C'est en vain qu'on les suit, on n'en peut rien apprendre.
Ce sont Acteurs instruits qui savent où se rendre,
Et qui se séparant quand ils sortent d'ici,
Par leur prompte retraite augmentent mon souci.
Qui peut les employer ?

Olympe
J'en vois tant qui font gloire
De soupirer pour vous, que je ne sais qu'en croire.
Quel qu'il soit, c'est de vous un Amant bien épris.

La comtesse
Mes soupçons sont d'abord tombés sur le Marquis.
Il m'aime, il est galant ; mais ses Gens qu'on épie,
Demeurent en repos dans son Hôtellerie,
Et n'y passeroient pas tout le jour sans emploi,
Si leur Maître faisoit tant de Fêtes pour moi.
D'ailleurs, qu'a-t-il besoin d'user de cette adresse ?
Je souffre que son cœur m'explique sa tendresse,
Et depuis mon Veuvage à me plaire attaché,
Quand il m'a divertie, il ne s'est point caché.

Olympe
Soupçonner le Marquis ! Non, non, quoi qu'il pût faire,
Son amour si longtemps auroit peine à se taire,
Et voyant votre peine, un sourire indiscret
De ses soins applaudis trahirois le secret.
Il vous parle à toute heure.

La comtesse
Et si notre Vicomte
S'étoit avisé…

Olympe
Lui ?

La comtesse
Que j'en aurois de honte.
C'est un fatigant homme.

Olympe
Il va jusqu'à l'excès.

La comtesse
Il doit venir m'instruire ici de mon Procès.

Olympe
Vous pouvez seul à seul lui donner audience,
Car pour moi je déserte, et suis sans complaisance.

La comtesse
Et ne pouvez-vous pas en rire comme moi ?

Olympe
Non, ces sortes d'Amants… Mais qu'est-ce que je vois ?
Madame…


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