L'Inconnu
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ACTE II - Scène VIII

Thomas Corneille

ACTE II - Scène VIII


(LA COMTESSE, OLIMPE, LE CHEVALIER, VIRGINIE, MELISSE, COMUS, SUITE DE COMUS)
(Pomone et Vertumne s'avancent, et chantent le Dialogue qui suit.)

Olympe
On diroit qu'il sort en courroux.

La comtesse
Il aura tout loisir de s'en rendre le maître.
Cependant divertissons-nous.

Comus
Tandis que vous ferez une épreuve agréable
Des douceurs que ces fruits offrent aux Curieux,
L'Amour qui m'emploie en ces lieux,
M'a fait chercher ce qu'il a cru capable
De pouvoir attacher vos yeux.
Allons, faites de votre mieux,
Et qu'à l'envi chacun se montre infatigable.
La Comtesse s'avance avec Olympe et le Chevalier vers les Corbeilles de Fruits ; et tandis que chacun choisit ce qui flatte le plus son goût, les Paysans qui ont ordre de divertir la Comtesse, après avoir fait quelques figures pour marquer leur joie, font un Jeu avec des Bâtons, et l'ont à peine fini, que sans sortir du lieu où ils sont, ils paraissent tous en un moment vêtus en Arlequins, et réjouissent la Comtesse par mille figures plaisantes.

La comtesse
On voit avec plaisir de semblables combats
Qui ne font craindre pour personne.

Comus
Il seroit malaisé qu'ils manquassent d'appas,
Quand c'est l'Amour qui les ordonne.
Mais il est d'autres Dieux que moi,
Qui se sont mêlés de la Fête.
Vertumne y prend part, et je vois
Qu'ainsi que Pomone il s'apprête
À raisonner sur son emploi.

Vertumne
De quel chagrin, Pomone, as-tu l'âme saisie ?

Pomone
Si Vertumne a des yeux, doit-il le demander ?
Je suis, quoique Déesse, obligée à céder ;
Puis-je le voir sans jalousie ?
Quand en faveur d'un Amant inconnu
J'ai promis de venir régaler cette Belle,
J'avois cru ne trouver en elle
Que les appas d'une simple Mortelle.
Pour qui l'Amour étoit trop prévenu ;
Mais les Divinités n'ont rien qui la surpasse.
Il n'est éclat qu'elle n'efface,
Et je viens d'avoir la douleur
Qu'auprès d'elle mes Fruits ont changé de couleur.
Après un tel affront puis-je être sans colère ?

Vertumne
J'aurois la même plainte à faire.
J'ai beau, comme Dieu des jardins,
Chercher à lui fournir toujours des fleurs nouvelles ;
Son teint en a de naturelles,
Dont l'éclat ternit mes jasmins.

Pomone
L'aveu que nous faisons augmente sa victoire.

Vertumne
Le moyen de s'en dispenser ?

Pomone
Elle est toute charmante, il faut le confesser.

Vertumne
Unissons donc nos voix, et chantons à sa gloire.
Tous les deux ensemble.
Heureux, heureux l'Amant, dont la tendre langueur,
Pour mériter son choix, aura touché son coeur !
(CHANSON DE POMONE.)
Vous avez beau vous défendre,
Vous aimerez quelque jour.
(À l'Amour,)
Sans attendre
Pourquoi craindre de vous rendre ?
Chacun lui cède à son tour.
On n'a point de plaisir sans tendresse,
Sans amour on n'a point de bonheur.
Si d'un Coeur
En langueur
Les soucis partagés vous font peur,
Rendez-vous au beau feu qui le presse,
Vous verrez qu'ils sont pleins de douceur.
(CHANSON DE VERTUMNE.)
L'Amour est à suivre,
Laissez-vous charmer ;
Tout doit s'enflammer.
Quel plaisir de vivre,
Sans celui d'aimer ?
Les plus belles chaînes
Font voir mille peines
À qui n'aime pas ;
Mais quand on aime,
Ce n'est plus de même,
Tout est plein d'appas.

Olympe
L'un et l'autre a la voix charmante.

Le chevalier
On auroit peine à mieux chanter.

La comtesse
La beauté de la fête a passé mon attente.

Olympe
L'Inconnu l'ordonnant, avez-vous à douter
Qu'elle ne fût toute galante ?

Comus
Et bien, pour toucher votre cœur,
Comus a-t-il su satisfaire,
En Dieu d'importance et d'honneur,
À tout ce que l'Amour l'avoit chargé de faire ?

La comtesse
Comus peut s'assurer par tout de son bonheur,
Si Comus s'en fait un de plaire.
Mais comme en terre quelquefois
La Divinité s'humanise,
Le Dieu Comus pourroit m'apprendre à qui je dois
Le divertissement dont il me voit surprise.

Comus
Un secret qu'à conserver
Ma qualité de Dieu m'engage.
Si de ses soins l'Amour qui veut vous éprouver,
Peut espérer quelque avantage,
Il m'attend dans le Ciel où je le vais trouver.
Employez-moi pour le message.

La comtesse
Je ne m'explique pas ainsi.
Je veux connoître avant qu'entrer en confidence.

Comus
Ma Suite est disparue, et je suis seul ici.
Bonsoir, vivez en espérance
De sortir bientôt de souci.

La comtesse
Se taire ! Se cacher si longtemps quand on aime !

Virginie
J'avois cru par l'un d'eux, en lui parlant tout bas,
Développer ce stratagème ;
Mais après quelques mots que peut-être lui-même
En les disant n'entendoit pas,
Il a, d'une vitesse extrême,
Pour s'éloigner, doublé le pas.

La comtesse
Pour moi, je ne sais plus qu'en dire.

Olympe
Le temps éclaircira l'amour de l'Inconnu,
Un peu de patience.

La comtesse
Il faut tâcher d'en rire,
En attendant que ce temps soit venu.


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