L'Inconnu
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ACTE III - Scène PREMIERE

Thomas Corneille

ACTE III - Scène PREMIERE


(LA COMTESSE, OLIMPE, VIRGINIE)

La comtesse
Nommez ce sentiment fierté, chagrin, caprice ;
Quand je parle une fois, je veux qu'on obéisse,
Et je ne prétends point, parce qu'on est jaloux,
Renoncer fortement aux plaisirs les plus doux.
Des vœux de l'Inconnu si le Marquis s'offense,
Il en doit redoubler ses soins, sa complaisance,
Et trop faire éclater l'ennui qu'il en reçoit,
C'est servir son Rival beaucoup plus qu'il ne croit.

Olympe
En vain un peu d'aigreur contre lui vous anime,
L'Inconnu, je le sais, partage votre estime,
On ne peut condamner ce qu'il s'en est acquis ;
Mais enfin vous devez votre cœur au Marquis.

La comtesse
Moi ? Je ne lui dois rien.

Olympe
Et qu'a donc fait, Madame,
Ce long et tendre amour qui vous soumet son âme ?
Pour vous rendre sensible il a tout essayé ;
Mille devoirs…

La comtesse
Et bien, n'en est-il pas payé ?

Olympe
Comment ? Est-ce qu'à lui votre foi vous engage ?

La comtesse
Il me voit quand il veut, que faut-il davantage ?
Quoi, pour quelques soupirs, pour un peu de langueur,
Vous croyez bonnement qu'il faut donner son coeur ?
S'engage qui voudra, je ne vais pas si vite
Avec tous mes Amants chaque jour je m'acquitte,
Et prétends que des vœux qui me sont adressés,
Le plaisir de me voir les a récompensés.
Tant qu'ils en usent bien, je leur fais bonne mine.
J'écoute leurs douceurs, prends mon humeur badine,
Je raille ; mais aussi quand on fait un faux pas,
J'ai l'air sombre, je rêve, et ne regarde pas.
D'ailleurs, point de caprice, et c'est par où j'engage
Cette foule d'Amants dont je reçois l'Hommage.
Ma Cour est toujours grosse, on y chante, on y rit ;
Et quand l'un me déplaît, l'autre me divertit.

Olympe
J'avois cru qu'au Marquis une secrète flamme
Assuroit, quoi qu'on fît, l'empire de votre âme,
Et plaignois l'Inconnu, dont les soins amoureux
Ne pouvoient mériter qu'il fût jamais heureux.
S'y prendre de la sorte est un grand avantage ;
Il doit n'être qu'esprit, tout ce qu'il fait engage,
Et sans doute il faudroit, quand on l'a su charmer,
Se mal connoître en Gens, pour ne le point aimer.

La comtesse
Je ne sais si pour lui j'ai plus que de l'estime,
Mais de ce que je sens je me fais presque un crime,
Et rougis en secret d'avoir tant de témoins
Du trop de complaisance où m'engagent ses soins.
Rien n'est plus obligeant, j'en dois chérir la cause ;
Mais enfin il se cache, et c'est pour quelque chose.
Tout galant qu'il paroît, qui pourra m'assurer
Qu'il mérite l'amour qu'il tâche à m'inspirer ?
Il est de riches Sots, qui pour certains usages
Tiennent un Bel Esprit quelquefois à leurs gages,
Et qui dans les Plaisirs qu'ils semblent inventer,
N'ont de part que l'argent qu'on leur a fait coûter.
Que si tout au contraire il étoit gueux ?

Olympe
Madame,
Tant de Fêtes d'éclat qui vous prouvent sa flamme…

La comtesse
Il peut vivre d'emprunt, et sur le bien d'autrui
Faire, pour m'attraper, ce qu'il ne peut de lui.
Malgré moi quelquefois cette crainte m'occupe,
Je n'ai point encore eu le talent d'être Dupe,
Et pour m'en garantir, je n'épargnerai rien.

Olympe
Mais si vous connoissez sa naissance, son bien,
Que tout dans sa personne…

La comtesse
Et le Marquis ? De grâce,
Si j'aime l'Inconnu, que faut-il que j'en fasse ?
Il n'est pas sans mérite, et doit être écouté,
Par lui-même, ou du moins par l'ancienneté.
De tous mes Protestants c'est le premier.

Olympe
J'avoue
Qu'il a des qualités bien dignes qu'on le loue,
L'air noble.

La comtesse
Qui des deux me conseilleriez-vous,
Puisque j'en ai le choix, de prendre pour époux ?

Olympe
Moi ?

La comtesse
Vous vous étonnez ?

Olympe
Si…

La comtesse
Parlons d'autre chose.
On vous trouve chagrine, apprenez-m'en la cause,
Le Chevalier s'en plaint, et ne sait que penser
De voir qu'il ne fait plus que vous embarrasser.
D'où naissent les froideurs dont son amour s'alarme ?

Olympe
À ne rien vous cacher la liberté me charme.
Je tremble, et s'agissant d'un Maître à me donner,
Un choix si hasardeux commence à m'étonner.

La comtesse
Ce Maître à recevoir, dont le choix vous étonne,
Ne fait pas tant de peur quand l'Amour nous le donne.
C'est par notre tendresse un mal bien adouci.

Olympe
Hé, Madame, pourquoi me parlez-vous ainsi ?

La comtesse
Le trouble de vos yeux me fait beaucoup entendre ;
Et quand le Chevalier.

Olympe
Vous voulez m'entreprendre.
Je quitte, et me sentant trop foible contre vous,
Je vais chercher ailleurs des Ennemis plus doux.


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