ACTE III - SCÈNE V


CLORIS
Mon frère… Il s'est sauvé ; son désespoir l'emporte :
Me préserve le ciel d'en user de la sorte !
Un volage me quitte, et je le quitte aussi :
Je l'obligerois trop de m'en mettre en souci.
Pour perdre des amants, celles qui s'en affligent
Donnent trop d'avantage à ceux qui les négligent ;
Il n'est lors que la joie : elle nous venge mieux,
Et la fît-on à faux éclater par les yeux,
C'est montrer par bravade à leur vaine inconstance 
Qu'elle est pour nous toucher de trop peu d'importance.
Que Philandre à son gré rende ses vœux contents ;
S'il attend que j'en pleure, il attendra longtemps.
Son cœur est un trésor dont j'aime qu'il dispose ;
Le larcin qu'il m'en fait me vole peu de chose,
Et l'amour qui pour lui m'éprit si follement
M'avoit fait bonne part de son aveuglement.
On enchérit pourtant sur ma faute passée :
Dans la même folie une autre embarrassée 
Le rend encor parjure, et sans âme, et sans foi,
Pour se donner l'honneur de faillir après moi.
Je meure, s'il n'est vrai que la moitié du monde 
Sur l'exemple d'autrui se conduit et se fonde.
À cause qu'il parut quelque temps m'enflammer,
La pauvre fille a cru qu'il valoit bien l'aimer,
Et sur cette croyance elle en a pris envie :
Lui pût-elle durer jusqu'au bout de sa vie !
Si Mélite a failli me l'ayant débauché,
Dieux, par là seulement punissez son péché !
Elle verra bientôt que sa digne conquête 
N'est pas une aventure à me rompre la tête.
Un si plaisant malheur m'en console à l'instant.
Ah! si mon fou de frère en pouvoit faire autant ,
Que j'en aurois de joie, et que j'en ferois gloire !
Si je puis le rejoindre et qu'il me veuille croire,
Nous leur ferons bien voir que leur change indiscret
Ne vaut pas un soupir, ne vaut pas un regret.
Je me veux toutefois en venger par malice,
Me divertir une heure à m'en faire justice :
Ces lettres fourniront assez d'occasion
D'un peu de défiance et de division.
Si je prends bien mon temps, j'aurai pleine matière
À les jouer tous deux d'une belle manière.
En voici déjà l'un qui craint de m'aborder.

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