Le Prince travesti
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ACTE PREMIER - Scène VIII

Marivaux

ACTE PREMIER - Scène VIII


(LÉLIO, HORTENSE)

HORTENSE
(, revient.)
J'oubliais à vous informer d'une chose : la Princesse vous aime, vous pouvez aspirer à tout ; je vous l'apprends de sa part, il en arrivera ce qu'il pourra. Adieu.

LÉLIO
(, l'arrêtant avec un air et un ton de surprise.)
Eh ! de grâce, Madame, arrêtez-vous un instant. Quoi ! la Princesse elle-même vous aurait chargée de me dire…

HORTENSE
Voilà de grands transports ; mais je n'ai pas charge de les rapporter ; j'ai dit ce que j'avais à vous dire, vous m'avez entendue ; je n'ai pas le temps de le répéter, et je n'ai rien à savoir de vous. (Elle s'en va ; Lélio, piqué, l'arrête.)

LÉLIO
Et moi, Madame, ma réponse à cela est que je vous adore, et je vais de ce pas la porter à la Princesse.

HORTENSE
(, l'arrêtant.)
Y songez-vous ? Si elle sait que vous m'aimez, vous ne pourrez plus me le dire, je vous en avertis.

LÉLIO
Cette réflexion m'arrête ; mais il est cruel de se voir soupçonné de joie, quand on n'a que du trouble.

HORTENSE
(, d'un air de dépit.)
Oh fort cruel ! Vous avez raison de vous fâcher ! La vivacité qui vient de me prendre vous fait beaucoup de tort ! Il doit vous rester de violents chagrins !

LÉLIO
(, lui baisant la main.)
Il ne me reste que des sentiments de tendresse qui ne finiront qu'avec ma vie.

HORTENSE
Que voulez-vous que je fasse de ces sentiments-là ?

LÉLIO
Que vous les honoriez d'un peu de retour.

HORTENSE
Je ne veux point, car je n'oserais.

LÉLIO
Je réponds de tout ; nous prendrons nos mesures, et je suis d'un rang…

HORTENSE
Votre rang est d'être un homme aimable et vertueux, et c'est là le plus beau rang du monde ; mais je vous dis encore une fois que cela est résolu ; je ne vous aimerai point, je n'en conviendrai jamais. Qui ? moi, vous aimer… vous accorder mon amour pour vous empêcher de régner, pour causer la perte de votre liberté, peut-être pis ! mon cœur vous ferait là de beaux présents ! Non, Lélio, n'en parlons plus, donnez-vous tout entier à la Princesse, je vous le pardonne ; cachez votre tendresse pour moi, ne me demandez plus la mienne, vous vous exposeriez à l'obtenir, je ne veux point vous l'accorder, je vous aime trop pour vous perdre, je ne peux pas vous mieux dire. Adieu, je crois que quelqu'un vient.

LÉLIO
(l'arrête.)
J'obéirai, je me conduirai comme vous voudrez ; je ne vous demande plus qu'une grâce ; c'est de vouloir bien, quand l'occasion s'en présentera, que j'aie encore une conversation avec vous.

HORTENSE
Prenez-y garde ; une conversation en amènera une autre, et cela ne finira point, je le sens bien.

LÉLIO
Ne me refusez pas.

HORTENSE
N'abusez point de l'envie que j'ai d'y consentir.

LÉLIO
Je vous en conjure.

HORTENSE
(, en s'en allant.)
Soit ; perdez-vous donc, puisque vous le voulez.


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