(LÉLIO, ARLEQUIN)
ARLEQUIN
(, à part.)
Il ne me voit pas. Voyons sa pensée.
LÉLIO
Me voilà dans un embarras dont je ne sais comment me tirer.
ARLEQUIN
(, à part.)
Il est embarrassé.
LÉLIO
Je tremble que la Princesse, pendant la fête, n'ait surpris mes regards sur la personne que j'aime.
ARLEQUIN
(, à part.)
Il tremble à cause de la Princesse… tubleu !… ce frisson-là est une affaire d'État… vertuchoux !
LÉLIO
Si la Princesse vient à soupçonner mon penchant pour son amie, sa jalousie me la dérobera, et peut-être fera-t-elle pis.
ARLEQUIN
(, à part.)
Oh ! oh !… la dérobera… Il traite la Princesse de friponne. Par la sambille ! Monsieur le conseiller fera bien ses orges de ces bribes-là que je ramasse, et je vois bien que cela me vaudra pignon sur rue.
LÉLIO
J'aurais besoin d'une entrevue.
ARLEQUIN
(, à part.)
Qu'est-ce que c'est qu'une entrevue ? Je crois qu'il parle latin… Le pauvre homme ! il me fait pitié pourtant ; car peut-être qu'il en mourra ; mais l'horoscope le veut. Cependant si j'avais un peu sa permission… Voyons, je vais lui parler. (Il retourne dans le fond du théâtre et de là il accourt comme s'il arrivait, et dit :)
Ah ! mon cher maître !
LÉLIO
Que me veux-tu ?
ARLEQUIN
Je viens vous demander ma petite fortune.
LÉLIO
Qu'est-ce que c'est que cette fortune ?
ARLEQUIN
C'est que le seigneur Frédéric m'a promis tout plein mes poches d'argent, si je lui contais un peu ce que vous êtes, et tout ce que je sais de vous ; il m'a bien recommandé le secret, et je suis obligé de le garder en conscience ; ce que j'en dis, ce n'est que par manière de parler. Voulez-vous que je lui rapporte toutes les babioles qu'il demande ? Vous savez que je suis pauvre ; l'argent qui m'en viendra, je le mettrai en rente ou je le prêterai à usure.
LÉLIO
Que Frédéric est lâche ! Mon enfant, je pardonne à ta simplicité le compliment que tu me fais. Tu as de l'honneur à ta manière, et je ne vois nul inconvénient pour moi à te laisser profiter de la bassesse de Frédéric. Oui, reçois son argent ; je veux bien que tu lui rapportes ce que je t'ai dit que j'étais, et ce que tu sais.
ARLEQUIN
Votre foi ?
LÉLIO
Fais ; j'y consens.
ARLEQUIN
Ne vous gênez point, parlez-moi sans façon ; je vous laisse la liberté ; rien de force.
LÉLIO
Va ton chemin, et n'oublie pas surtout de lui marquer le souverain mépris que j'ai pour lui.
ARLEQUIN
Je ferai votre commission.
LÉLIO
J'aperçois la Princesse. Adieu, Arlequin, va gagner ton argent.
L'Île des esclaves, comédie en un acte écrite par Marivaux en 1725, se déroule sur une île utopique où les rapports sociaux sont inversés pour rétablir la justice. L'intrigue débute...
L'Île de la raison, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1727, se déroule sur une île imaginaire gouvernée par la raison et la vérité, où les habitants vivent...
L'Heureux Stratagème, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1733, raconte les manœuvres subtiles de deux amants pour raviver leur amour mis à l'épreuve. La marquise et le chevalier,...
L'Héritier de village, comédie en un acte écrite par Marivaux en 1725, raconte les mésaventures d’un jeune homme naïf, Eraste, nouvellement désigné comme héritier d’un riche villageois. L’histoire se déroule...
Les Serments indiscrets, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1732, explore les contradictions de l’amour et de la parole donnée. L’intrigue tourne autour de Lucile et Damis, deux...