(LA PRINCESSE, HORTENSE, FRÉDÉRIC, ARLEQUIN)
LA PRINCESSE
Eh bien ! Frédéric, qu'a-t-on conclu avec l'Ambassadeur ?
FRÉDÉRIC
Madame, Monsieur Lélio penche à croire que sa proposition est recevable.
LA PRINCESSE
Lui, son sentiment est que j'épouse le roi de Castille ?
FRÉDÉRIC
Il n'a demandé que le temps d'examiner un peu la chose.
LA PRINCESSE
Je n'aurais pas cru qu'il dût penser comme vous le dites.
ARLEQUIN
(, derrière elle.)
Il en pense, ma foi, bien d'autres !
LA PRINCESSE
Ah ! te voilà ? (À Frédéric.)
Que faites-vous de son valet ici ?
FRÉDÉRIC
Quand vous êtes arrivée, Madame, il venait, disait-il, me déclarer quelque chose qui vous concerne, et que le zèle qu'il a pour vous l'oblige de découvrir. Monsieur Lélio y est mêlé ; mais je n'ai pas eu encore le temps de savoir ce que c'est.
LA PRINCESSE
Sachons-le ; de quoi s'agit-il ?
ARLEQUIN
C'est que, voyez-vous, Madame, il n'y a mardi point de chanson à cela, je suis bon serviteur de Votre Principauté.
HORTENSE
Eh quoi Madame, pouvez-vous prêter l'oreille aux discours de pareilles gens ?
LA PRINCESSE
On s'amuse de tout. Continue.
ARLEQUIN
Je n'entends ni à dia ni à huau, quand on ne vous rend pas la révérence qui vous appartient.
LA PRINCESSE
À merveille. Mais viens au fait sans compliment.
ARLEQUIN
Oh ! dame, quand on vous parle, à vous autres, ce n'est pas le tout que d'ôter son chapeau, il faut bien mettre en avant quelque petite faribole au bout. À cette heure voilà mon histoire. Vous saurez donc, avec votre permission, que tantôt j'écoutais Monsieur Lélio, qui faisait la conversation des fous, car il parlait tout seul. Il était devant moi, et moi derrière. Or, ne vous déplaise, il ne savait pas que j'étais là ; il se virait, je me virais ; c'était une farce. Tout d'un coup il ne s'est plus viré, et puis s'est mis à dire comme cela : ouf je suis diablement embarrassé. Moi j'ai deviné qu'il avait de l'embarras. Quand il a eu dit cela, il n'a rien dit davantage, il s'est promené ; ensuite il y a pris un grand frisson.
HORTENSE
En vérité, Madame, vous m'étonnez.
LA PRINCESSE
Que veux-tu dire : un frisson ?
ARLEQUIN
Oui, il a dit : je tremble. Et ce n'était pas pour des prunes, le gaillard ! Car, a-t-il repris, j'ai lorgné ma gentille maîtresse pendant cette belle fête ; et si cette Princesse, qui est plus fine qu'un merle, a vu trotter ma prunelle, mon affaire va mal, j'en dis du mirlirot. Là-dessus autre promenade, ensuite autre conversation. Par la ventre-bleu ! a-t-il dit, j'ai du guignon : je suis amoureux de cette gracieuse personne, et si la Princesse vient à le savoir, et y allons donc, nous verrons beau train, je serai un joli mignon ; elle sera capable de me friponner ma mie. Jour de Dieu ! ai-je dit en moi-même, friponner, c'est le fait des larrons, et non pas d'une Princesse qui est fidèle comme l'or. Vertuchoux ! qu'est-ce que c'est que tout ce tripotage-là ? toutes ces paroles-là ont mauvaise mine ; mon patron songe à la malice, et il faut avertir cette pauvre Princesse à qui on en ferait passer quinze pour quatorze. Je suis donc venu comme un honnête garçon, et voilà que je vous découvre le pot aux roses : peut-être que je ne vous dis pas les mots, mais je vous dis la signification du discours, et le tout gratis, si cela vous plaît.
HORTENSE
(, à part.)
Quelle aventure !
FRÉDÉRIC
(, à la Princesse.)
Madame, vous m'avez dit quelquefois que je présumais mal de Lélio ; voyez l'abus qu'il fait de votre estime.
LA PRINCESSE
Taisez-vous ; je n'ai que faire de vos réflexions. (À Arlequin.)
Pour toi, je vais t'apprendre à trahir ton maître, à te mêler de choses que tu ne devais pas entendre et à me compromettre dans l'impertinente répétition que tu en fais ; une étroite prison me répondra de ton silence.
ARLEQUIN
(, se mettant à genoux.)
Ah ! ma bonne dame, ayez pitié de moi ; arrachezmoi la langue, et laissez-moi la clef des champs. Miséricorde, ma reine ! je ne suis qu'un butor, et c'est ce misérable conseiller de malheur qui m'a brouillé avec votre charitable personne.
LA PRINCESSE
Comment cela ?
FRÉDÉRIC
Madame, c'est un valet qui vous parle, et qui cherche à se sauver ; je ne sais ce qu'il veut dire.
HORTENSE
Laissez, laissez-le parler, Monsieur.
ARLEQUIN
(, à Frédéric.)
Allez, je vous ai bien dit que vous ne valiez rien, et vous ne m'avez pas voulu croire. Je ne suis qu'un chétif valet, et si pourtant, je voulais être homme de bien ; et lui, qui est riche et grand seigneur, il n'a jamais eu le cœur d'être honnête homme.
FRÉDÉRIC
Il va vous en imposer, Madame.
LA PRINCESSE
Taisez-vous, vous dis-je ; je veux qu'il parle.
ARLEQUIN
Tenez, Madame, voilà comme cela est venu. Il m'a trouvé comme j'allais tout droit devant moi… Veux-tu me faire un plaisir ? m'a-t-il dit. — Hélas ! de toute mon âme, car je suis bon et serviable de mon naturel. — Tiens, voilà une pistole. — Grand merci. — En voilà encore une autre. — Donnez, mon brave homme. — Prends encore cette poignée de pistoles. — Et oui-da, mon bon Monsieur. — Veux-tu me rapporter ce que tu entendras dire à ton maître ? — Et pourquoi cela ? — Pour rien, par curiosité. — Oh ! non, mon compère, non. — Mais je te donnerai tant de bonnes drogues ; je te ferai ci, je te ferai cela ; je sais une fille qui est jolie, qui est dans ses meubles ; je la tiens dans ma manche ; je te la garde. — Oh ! oh ! montrez-la pour voir. — Je l'ai laissée au logis ; mais, suis-moi, tu l'auras. — Non, non, brocanteur, non. — Quoi ! tu ne veux pas d'une jolie fille ?… À la vérité, Madame, cette fille-là me trottait dans l'âme ; il me semblait que je la voyais, qu'elle était blanche, potelée. Quelle satisfaction ! Je trouvais cela bien friand. Je bataillais, je bataillais comme un César ; vous m'auriez mangé de plaisir en voyant mon courage ; à la fin je suis chu. Il me doit encore une pension de cent écus par an, et j'ai déjà reçu la fillette, que je ne puis pas vous montrer, parce qu'elle n'est pas là ; sans compter une prophétie qui a parlé, à ce qu'ils disent, de mon argent, de ma fortune et de ma friponnerie.
LA PRINCESSE
Comment s'appelle-t-elle, cette fille ?
ARLEQUIN
Lisette. Ah ! Madame, si vous voyiez sa face, vous seriez ravie ; avec cette créature-là, il faut que l'honneur d'un homme plie bagage, il n'y a pas moyen.
FRÉDÉRIC
Un misérable comme celui-là peut-il imaginer tant d'impostures ?
ARLEQUIN
Tenez, Madame, voilà encore sa bague qu'il m'a mise en gage pour de l'argent qu'il me doit donner tantôt. Regardez mon innocence. Vous qui êtes une princesse, si on vous donnait tant d'argent, de pensions, de bagues, et un joli garçon, est-ce que vous y pourriez tenir ? Mettez la main sur la conscience. Je n'ai rien inventé ; j'ai dit ce que Monsieur Lélio a dit.
HORTENSE
(, à part.)
Juste ciel !
LA PRINCESSE
(, à Frédéric en s'en allant.)
Je verrai ce que je dois faire de vous, Frédéric ; mais vous êtes le plus indigne et le plus lâche de tous les hommes.
ARLEQUIN
Hélas ! délivrez-moi de la prison.
LA PRINCESSE
Laisse-moi.
HORTENSE
(, déconcertée.)
Voulez-vous que je vous suive, Madame ?
LA PRINCESSE
Non, Madame, restez, je suis bien aise d'être seule ; mais ne vous écartez point.
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