ACTE III - Scène 12


Toinette
(s'écrie)

Ah ! mon Dieu ! Ah ! malheur ! quel étrange accident !

Béline
Qu'est-ce, Toinette ?

Toinette
Ah ! madame !

Béline
Qu'y a-t-il ?

Toinette
Votre mari est mort.

Béline
Mon mari est mort ?

Toinette
Hélas ! oui. Le pauvre défunt est trépassé.

Béline
Assurément ?

Toinette
Assurément. Personne ne sait encore cet accident-là, et je me suis trouvée ici toute seule. Il vient de passer entre mes bras. Tenez, le voilà tout de son long dans cette chaise.

Béline
Le Ciel en soi loué ! Me voilà délivrée d'un grand fardeau. Que tu es sotte, Toinette, de t'affliger de cette mort !

Toinette
Je pensais, madame, qu'il fallût pleurer.

Béline
Va, va, cela n'en vaut pas la peine. Quelle perte est-ce que la sienne, et de quoi servait-il sur la terre ? Un homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant, sans cesse un lavement ou une médecine dans le ventre, mouchant, toussant, crachant toujours, sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur, fatiguant sans cesse les gens, et grondant jour et nuit servantes et valets.

Toinette
Voilà une belle oraison funèbre.

Béline
Il faut, Toinette, que tu m'aides à exécuter mon dessein, et tu peux croire qu'en me servant ta récompense est sûre. Puisque, par un bonheur, personne n'est encore averti de la chose, portons-le dans son lit, et tenons cette mort cachée jusqu'à ce que j'aie fait mon affaire. Il y a des papiers, il y a de l'argent, dont je veux me saisir, et il n'est pas juste que j'aie passé sans fruit auprès de lui mes plus belles années. Viens, Toinette : prenons auparavant toutes ses clefs.

Argan
(se levant brusquement)

Doucement !

Béline
(surprise et épouvantée)

Aïe

Argan
Oui, madame ma femme, c'est ainsi que vous m'aimez ?

Toinette
Ah ! ah ! le défunt n'est pas mort.

Argan
(à Béline qui sort)

Je suis bien aise de voir votre amitié et d'avoir entendu le beau panégyrique que vous avez fait de moi. Voilà un avis au lecteur qui me rendra sage à l'avenir, et qui m'empêchera de faire bien des choses.

Béralde
(sortant de l'endroit où il s'est caché)

Hé bien, mon frère, vous le voyez.

Toinette
Par ma foi, je n'aurais jamais cru cela. Mais j'entends votre fille ; remettez-vous comme vous étiez et voyons de quelle manière elle recevra votre mort. C'est une chose qu'il n'est pas mauvais d'éprouver ; et puisque vous êtes en train, vous connaîtrez par là les sentiments que votre famille a pour vous.

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