ACTE V - Scène IV

Persée
Seigneur, apprenez-moi s'il ne m'est plus permis
De me flatter d'un bien que vous m'aviez promis.
Il semble que le sort toujours prêt à me nuire
N'ait voulu m'élever que pour mieux me détruire.
Ma gloire fait ma honte, et contraint de céder,
Plus on m'a vu d'espoir, et moins j'en puis garder.

Philippe
De cet injuste espoir si l'on m'a vu complice,
Ingrat, le Ciel se plaît à me rendre justice,
Et dès le premier pas sa bonté nous fait voir
Combien la soif du trône a sur toi de pouvoir.
L'hymen qui te l'assure est un foible avantage,
Tant qu'un père importun avec toi le partage.
À la perte d'un fils tu voulois m'engager
Pour en prendre sur moi le droit de le venger.
Le succès a trompé tes damnables maximes,
J'ai sauvé malgré toi ma gloire de tes crimes,
Et si le sang d'un frère a pour toi tant d'appas,
Il te faut pour l'épandre emprunter d'autres bras.
Ne songez plus, Madame, à couronner un lâche.
Je vois pour vous enfin quelle en seroit la tache.
Et garant de l'hymen où j'osois vous porter,
Je vous rends un aveu qu'il n'a pu mériter.

Persée
De quelque dur revers que le Sort me menace,
Je ne demande point d'où me vient ma disgrâce.
Ce sont les mêmes traits toujours empoisonnés
Qu'en vain jusques ici ma plainte a détournés,
Le mépris dont enfin elle fut hier suivie,
À la rage d'un frère abandonna ma vie,
Et quand j'en expliquai les secrets attentats,
Ce fut les approuver que ne les punir pas.
Je n'en murmure point, et dois voir sans surprise
Qu'à me persécuter votre aveu l'autorise ;
Mais que je sache au moins quel indigne rapport
D'un hymen souhaité vous fait rompre l'accord.

Philippe
Fais-moi servir ta haine, et joins à cette injure
Tout ce qui peut au crime endurcir la Nature.
Démens ces Envoyés qui subornés par toi,
Avec tant de fureur noircirent hier sa foi.
Veux-tu que l'imposture aujourd'hui découverte
Fasse voir qu'ils suivoient tes ordres pour sa perte,
Et qu'instruits par ta rage, ils viennent déclarer,
Quels jaloux mouvements te l'avoient fait jurer ?
Veux-tu que Quintius sur un faux caractère…

Persée
Que l'erreur qui nous flatte aisément nous est chère !
Pour ce fils contre moi noirci de lâchetés,
Laissez-vous éblouir à de fausses clartés
Cédez à ce penchant dont l'indigne imposture
Toujours en sa faveur suborna la Nature ;
Mais vous en fierez-vous à des âmes sans foi,
Qui d'abord contre lui, sont enfin contre moi ?
C'est par là qu'à ma mort leur trahison aspire.
Ils ne l'ont accusé qu'afin de s'en dédire,
Et rejeter sur moi le plus noir attentat
Qui de votre courroux pût mériter l'éclat.
Je vous le disois hier, plus d'espoir d'innocence.
Vos Peuples sont pour lui, Rome prend sa défense,
Le sang même conspire à le favoriser,
Et pour me voir coupable il n'a qu'à m'accuser.
Mais au moins pour avoir des preuves plus certaines,
Livrez les Imposteurs aux plus cruelles peines.
Dans leurs derniers remords cherchez des vérités…

Philippe
Va, n'en demande point de plus vives clartés.
Loin de les souhaiter dans un destin si rude
J'aime à laisser ton crime en quelque incertitude,
Et quoi que leur rapport me montre à prévenir,
J'en veux douter exprès pour n'oser t'en punir.
Mais comme je vois trop que rien n'est plus capable
D'arracher l'innocent aux fureurs du coupable,
Il faut rompre un péril qui jusqu'ici douteux,
Pourroit se rendre enfin funeste à tous les deux.
Vous le pouvez, Madame, et dissiper la crainte
Dont Persée aujourd'hui fait l'appui de sa plainte.
D'une sourde pratique il prendra peu d'effroi
Si de Démétrius vous daignez faire un Roi.
De quelque ambition qu'il ait l'âme saisie,
Il le verra chez vous régner sans jalousie,
Et cessera de croire un soupçon odieux
Quand il n'aura plus rien qui lui blesse les yeux.
Je vous rends vos États, vous leur devez un Maître.
Et si le triste état où vous me voyez être,
Pour un fils malheureux…

Érixène
Seigneur, permettez-moi
De remonter au trône avant que faire un Roi.
Plus de gloire y suivra l'heureux choix de ma flamme ;
Et si Démétrius…

Persée
Ah, c'en est trop, Madame,
Quelque pressant respect qui cherche à m'arrêter,
Vous forcez malgré moi ma rage d'éclater.
En vain mon désespoir voudroit encor se taire.
Seigneur, n'épargnez rien pour élever mon frère,
Donnez-lui votre Sceptre, et le couronnez Roi,
Vous ne lui donnez rien qui soit encor à moi,
Et quelque injuste rang que vous lui fassiez prendre,
Au trône, vous vivant, je n'ai rien à prétendre.
C'est assez que le Ciel m'y réserve mes droits ;
Mais pour placer ses vœux faites un autre choix.
Pour lui contre ma flamme en vain on s'intéresse,
Il m'a vu recevoir la foi de la Princesse,
Et les ordres cruels qui l'en veulent flatter,
M'arracheront le jour avant que me l'ôter.

Érixène
Votre orgueil de mon choix s'est pu faire l'arbitre,
Tant qu'on ne m'a laissé de Reine que le titre,
Mais enfin on me rend le pouvoir Souverain,
Et quand il me plaira disposer de ma main…

Philippe
Disposez-en, Madame, et puisque son audace
Par ses emportements veut hâter sa disgrâce,
Il faut qu'aux yeux de tous ses forfaits étalés
Découvrent mieux quels droits sa rage a violés.
Qu'on amène son frère, afin qu'en sa présence…

Persée
Oui, Seigneur, achevez d'assouvir sa vengeance.
Sans rien examiner, puisque ma mort lui plaît,
À son impatience accordez-en l'arrêt.
Aussi bien ce haut prix qu'on destine à sa flamme,
Sans verser tout mon sang…


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