Philippe
Oui, je prononcerai malgré tout le murmure
Qu'en mon âme étonnée excite la Nature,
Et puisque l'on m'y force, il doit m'être permis
De renoncer aux noms de père et de fils.
Dieux, a-t-on vu jamais pousser si loin l'audace ?
De ma seule clémence il peut espérer grâce,
Et son coupable orgueil, bien loin de s'abaisser,
Porte encor sa fureur jusques à menacer.
Didas
Seigneur, puisque ma mort est tout ce qu'il souhaite
Je ne mérite pas que l'on s'en inquiète,
Et j'en vois naître en vous des transports superflus
Pourvu que vous n'ayez rien à craindre de plus.
Philippe
Rien à craindre de plus ? Et sans que je m'étonne
Il se sacrifiera l'appui de ma Couronne ?
Mais je veux qu'en ta mort l'État ne perde rien,
Oubliant ton péril, oublierai-je le mien ?
Ce que Rome a de part dans ces noires pratiques
Dont par nos envoyés j'ai découvert les ligues,
Ce que sur ses projets Quintius lui répond…
Didas
À dire vrai, Seigneur, tout cela me confond ;
Mais comme Quintius, appuyant son audace,
N'abandonne à ses vœux que le trône de la Thrace,
La peur de lui déplaire, et d'aigrir le Sénat,
De son ambition pourra borner l'éclat.
Philippe
Il faut donc voir toujours que ce Sénat me brave,
Qu'au milieu de ma Cour il me traite en esclave,
Et que son fier orgueil dont j'ai trop pris la loi
Me souffre par pitié le vain titre de Roi ?
C'est un joug dont la guerre a droit de me défendre,
J'y porte tous mes voeux, mais puis-je l'entreprendre,
Tant que ce lâche fils séduit par les Romains,
Pour les en mieux instruire, épiera mes desseins ?
Non, non, puisqu'à me craindre on ne peut le réduire,
Il faut le mettre enfin hors d'état de me nuire,
Il faut que l'arrêtant…
Didas
Seigneur, le pourrez-vous
Sans voir soudain pour lui le Peuple contre nous ?
Par ce qu'il vient de dire il en a l'assurance,
Et comme il vous faudra forcer son insolence,
Gardez qu'en l'essayant vous ne hasardiez tout,
Si vous l'entreprenez sans en venir à bout.
Qui combat sa fureur l'irrite s'il lui cède.
Philippe
Dieux, mon mal est tel qu'il n'ait plus de remède ?
Didas
Il en reste un, Seigneur, mais si dur, si fatal,
Qu'il vous seroit encor plus affreux que le mal ;
Moi-même j'en frémis quand je me le propose.
Philippe
Ah, pour vivre sans Maître il n'est rien que je n'ose.
C'est trop voir les Romains pousser les Rois à bout,
Fais-m'en braver l'empire, et je consens à tout.
Didas
Ce noble et juste orgueil n'offre qu'un choix à faire,
Pour être roi, Seigneur, il faut n'être plus père.
La saine politique a pour seul fondement
L'inébranlable ardeur de régner sûrement,
Et qui craint dans un mal une suite funeste,
Purge le mauvais sang qui corrompoit le reste.
Un fils à la Nature a beau servir d'objet,
Sitôt qu'il est coupable, il n'est plus que Sujet,
Et quand contre l'État Démétrius : conspire,
Sa mort seule… mais quoi ? Votre cœur en soupire !
Je vous l'avois bien dit, le remède est affreux.
Philippe
Souffre cette foiblesse en un Roi malheureux.
D'abord pour braver Rome, un mouvement sévère
M'a fait voir comme à toi cette mort nécessaire,
Mais de tant de rigueur tous mes sens indignés
Étouffant malgré moi…
Didas
Servez donc, et craignez.
Pour conserver un fils il faut souffrir un Maître.
Philippe
Tombe plutôt ce trône où le Ciel m'a fait naître.
Ce n'est plus ton péril que j'aime à repousser,
C'est l'affront d'obéir que je veux effacer.
Que me viens-tu donc dire, indiscrète Nature ?
Pour un indigne fils fais cesser ton murmure.
Pourquoi m'offrir des droits qu'il ne respecte pas ?
C'en est fait, j'ai ordonné l'arrêt de son trépas,
Je me rends, il mourra, sa perte est résolue.
Didas
Tout autre dès longtemps l'auroit déjà conclue,
Mais comme votre cœur est moins dur que le sien,
Avant qu'en donner l'ordre, examinez-vous bien.
Qui peut craindre un remords s'apprête un sort bien rude,
Et quelque dure aux Rois que soit la servitude,
C'est à vous à juger s'il peut être permis
D'en préférer la honte à la perte d'un fils.
Philippe
Non, non, il faut régner, et que l'Ingrat périsse.
Je dois au nom de Roi ce triste sacrifice,
La Nature y consent, songeons à le hâter ;
Mais nous avons toujours le Peuple à redouter.
Didas
Pour forcer sa prison, s'il peut tout entreprendre,
Quand il saura sa mort vous le verrez se rendre ;
Étouffer un éclat qui seroit sans soutien.
Où l'on manque de Chef la révolte n'est rien.
Mais si de sa fureur vous craignez les menaces,
Il ne faut qu'en secret nous assurer des Places,
Tenir nos Amis prêts, les répandre en tous lieux.
Que pourront entreprendre alors les factieux ?
Étonnés par sa chute oseront-ils paroître ?
Philippe
De ce Peuple insolent va donc te rendre maître,
Et t'étant assuré de la Ville et du Fort,
Viens résoudre avec moi l'ordre de cette mort.
Le poison, surprenant ce fils trop téméraire,
Avecque moins d'éclat saura nous en défaire,
Mais le temps presse, va.
Didas
C'est vouloir être Roi,
Seigneur, mais…
Philippe
Va, te dis-je, et ne crains rien de moi.
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