Démétrius
Que m'apprend-on, Madame ?
On vous fait de Persée autoriser la flamme,
Et si je puis sans crime en croire un bruit confus,
Dès demain son bonheur doit vaincre vos refus.
Érixène
J'admire que ce bruit ait de quoi vous surprendre
Dans le peu d'intérêt que vous y devez prendre.
Du Gendre de Didas les desseins mal cachés…
Démétrius
Ah, Madame, est-ce vous qui me le reprochez,
Et le déguisement dont j'ai puni ce Traître,
Peut-il abuser ceux qui me doivent connoître ?
Réduit à m'en servir contre un destin jaloux,
Ce qui l'est pour le Roi ne peut l'être pour vous.
Cependant quand ma foi croit être en assurance,
Didas… Ce nom fatal fait trembler ma constance,
Mon cœur s'en épouvante, et son espoir flottant
N'ose l'abandonner à tout ce qu'il entend.
Érixène
J'ignore ce qu'il craint, mais je puis vous apprendre
Qu'il cherche à se flatter dans ce qu'il doit entendre,
S'il doute que le mien ne ressente pour vous
Ce que l'indifférence eut jamais de plus doux.
Dans cet heureux état qui me rend à moi-même,
Persée avec son cœur m'offre le Diadème,
Et nul exemple encor n'a paru m'enseigner
À n'être point sensible à l'ardeur de régner.
Démétrius
Cachez mieux à mon cœur le mal qu'il appréhende.
J'entends peut-être plus qu'on ne veut qu'il entende,
Et vous vois malgré moi dans ce funeste jour
Mendier un prétexte à trahir mon amour.
Si quelque dur éclat marquoit votre colère,
Je croirois que ma feinte auroit pu vous déplaire,
Et qu'une injuste erreur vous auroit fait penser
Que jusques à Didas je voudrois m'abaisser ;
Mais l'air indifférent dont ma perte est conclue
Marque une âme à l'oubli dès longtemps résolue,
Et je vois en secret la vôtre s'applaudir
D'avoir trouvé par où s'y pouvoir enhardir.
Des grandes passions c'est le cours ordinaire,
Que le cœur qui les change en prend une con traire,
Et quand ses vœux trahis exigent ce retour,
S'il ne sent point de haine, il n'eut jamais d'amour.
Ne rejetez donc point sur ma fausse inconstance
Celle où l'ambition pousse votre vengeance.
Quelque crime qu'en moi vous ayez présumé,
Je serois innocent si vous m'aviez aimé.
Érixène
Ces grandes passions qu'en suit une contraire,
N'entrent point dans une âme au-dessus du vulgaire,
Qui maîtresse des vœux qu'il lui plaît de former,
De la seule vertu prend les ordres d'aimer.
Du tumulte des sens l'impérieuse amorce
Pour troubler sa raison n'a point assez de force,
Et toujours à ses lois jalouse d'obéir,
Ce qui la fait aimer, ne la fait point haïr.
Tant que vos vœux ont eu ce précieux suffrage,
Je ne cèle point, j'en ai chéri l'hommage ;
L'inconstance sur eux commence de régner
Je ne m'en souviens plus que pour les dédaigner,
Et je me sens une âme et trop haute et trop vaine
Pour croire que l'outrage ait mérité ma haine.
Démétrius
Quel outrage, grands Dieux ! Et quand contre Didas…
Érixène
Je le tiens si léger qu'il ne m'ébranle pas.
Puis-je à vos feux naissants rendre plus de justice ?
Vous aimerez ailleurs sans que je vous haïsse,
Et donnant votre cœur, ne serez point gêné
D'en voir au moindre ennui le mien abandonné.
Démétrius
Non, non, si j'ai failli, ma timide espérance
Préfère votre haine à votre indifférence,
Et la foudre, et l'orage auront moins de rigueur,
Que le calme odieux qui règne en votre cœur.
Mais quel crime ai-je fait quand j'ai craint pour vous plaire
Le piège dangereux que me tendoit un frère ?
Mandé sur un hymen par Didas concerné,
Si je résiste au Roi, je dois être arrêté,
Et…
Érixène
C'est l'avoir servi plus qu'on ne sauroit croire
Que de cette injustice avoir sauvé sa gloire,
Et consenti plutôt à souiller votre foi
Que de lui voir rien faire indigne d'un grand Roi.
Démétrius
Si son ordre d'abord ne m'a point vu rebelle,
Blâmez un malheureux plutôt qu'un infidèle.
Contre cet ordre, hélas ! bien loin d'y déférer,
Partout de mes Amis je viens de m'assurer.
C'est pour gagner ce temps que d'un Roi, que d'un père
J'ai par un faux aveu suspendu la colère,
J'en voyois l'éclat prêt, et feignant d'obéir…
Érixène
Ah, qui sait bien aimer ne feint point de trahir.
L'horreur que dans son âme imprime l'inconstance
Lui fait du plus noir crime en traiter l'apparence,
Et l'amant qui s'en peut déguiser le forfait,
Cherche à se voir contraint de trahir en effet.
Démétrius
Quelque dur que me soit un reproche semblable,
Puisque vous m'accuser, je veux être coupable ;
Mais si mon innocence a pour vous quelque appas,
Pour me justifier faites parler Didas.
Qu'il dise de quel air ma juste impatience
De ses vœux arrogants a traité l'insolence,
Et de quels ordres exprès il a reçus de moi
Contre le fier espoir dont le flatte le Roi.
Érixène
Ces ordres, ces mépris doivent peu me surprendre
Quand sa fidélité vous dédaigne pour Gendre,
Et que vous n'avez pu me croire un cœur si bas
Que j'estimasse encor le rebut de Didas.
Pour cacher son refus avez-vous pu moins faire ?
Démétrius
Quoi, Didas…
Érixène
Malgré vous Didas n'a pu se taire.
Mais quoi que son rapport mérite aller de soi,
Je veux sur ce refus qu'il ait trompé le Roi.
Si le vôtre a puni l'audace qui l'entraîne,
Du remords des ingrats vous avez craint la gêne,
Et la honte attachée à des vœux inconstants
Ne vous a pu souffrir de me trahir longtemps ;
Mais quand du plus beau feu l'on s'est montré capable,
Qui trahit un moment reste toujours coupable,
Et ce moment qu'il donne à l'infidélité
Par le plus vif remords n'est jamais racheté.
Démétrius
Continuez, Madame, et sur cette maxime
De votre ambition faites-moi la victime,
Quoi que vous m'imputiez, l'éclat d'un trône offert
Fait seul auprès de vous le crime qui me perd.
C'est lui qui pour prétexte offre à votre vengeance
L'irréparable affront d'un moment d'inconstance,
Et tâche, en noircissant et mon zèle et ma foi,
D'autoriser en vous ce qu'il punit en moi.
Je ne demande plus par quel charme séduite
Avec tant de chaleur vous m'ordonniez la fuite.
Prête à m'ôter la vie en m'ôtant votre cœur,
Mes reproches pour vous avoient trop de rigueur.
Ce dur éloignement que pressoit votre crainte
D'un amant outragé vous épargnoit la plainte ;
Mais n'en redoutez point le vif ressentiment,
Abandonné, trahi, je suis toujours amant.
Toujours ma passion aussi noble que pure
À tout ce qui vous plaît sait m'offrir sans murmure,
Et quand ma triste mort a de quoi vous flatter,
L'ordre est de ma Princesse, il faut le respecter.
Érixène
Si sur un trône offert votre lâche inconstance
Se veut croire permis d'en rejeter l'offense,
À la favoriser je prends tant d'intérêt
Que je lui veux laisser une erreur qui lui plaît.
Adieu.
Démétrius
Quoi, me quittez ! Eh de grâce, Madame,
Daignez ouïr… Hélas ! Rien ne touche son âme,
Et l'affreuse disgrâce où le Ciel me fait choir,
Pour en finir l'horreur, n'a que mon désespoir.
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