ACTE I - Scène II

Persée
Ainsi pour prévenir l'ambition d'un frère,
Le secours de Didas nous étoit nécessaire,
Le Roi l'écoutant seul, on n'eût pu rien sans lui.

Onomaste
Je n'ose encor pour vous m'en promettre l'appui ;
Il semble à s'expliquer, Seigneur, qu'il ait eu peine.

Persée
Mais il est ennemi de la Grandeur Romaine,
Et son faste insolent lui blesse trop les yeux.

Onomaste
Il faut pourtant songer à vous l'acquérir mieux.
Quoi qu'il vous ait promis, toute sa Politique
À sa seule grandeur sans relâche s'applique,
Et prêt des deus Partis à se joindre au plus fort,
Il attend que quelque autre en décide le sort.
Avec l'appui du peuple à ses vœux favorable,
Démétrius, Seigneur, lui paroît redoutable,
Et sans doute il craindra d'attirer son courroux
S'il ne voit que le Roi se déclare pour vous.
Cherchez donc à l'aigrir par tout ce que la plainte
Peut jeter dans son âme et d'horreur et de crainte,
D'un parricide affreux montrez-lui le projet,
Que sa tête et la vôtre en sont l'indigne objet,
Et songez que le droit d'un trône héréditaire
Ne vous demeure sûr qu'en perdant votre frère.
L'occasion est belle, et l'audace des siens
À vos ressentiments en offre les moyens.
Tout ce qui se fit hier prouve sa violence,
Et ce qui doit surtout servir votre vengeance,
Vous savez que de Rome on attend aujourd'hui
Ceux qu'envoya le Roi pour s'informer de lui.
Sous couleur d'Ambassade et d'affaires publiques,
Ils alloient épier des secrètes pratiques,
Et fût-il innocent, ils noirciront sa foi,
De tout ce qui la peut rendre suspect au Roi.
C'est là ce qu'en partant vous leur fîtes promettre,
Et si par le secours de quelque fausse lettre,
Il faut pour le convaincre étendre le forfait,
Le seing de Quintius se verra contrefoit.

Persée
Ne balançons donc plus une juste entreprise,
Où m'engage le trône, où l'amour m'autorise.
Perdons ce frère ingrat dont l'insolent pouvoir
Fait pour l'un et pour l'autre obstacle à mon espoir.
La Princesse de Thrace en vain m'est destinée,
En vain le Roi m'en veut assurer l'hyménée,
De mes tristes soupirs l'hommage dédaigné
Enorgueillit un cœur que le Prince a gagné ;
Ses soins qu'à préférer on voit qu'elle s'apprête,
Dérobent à mes vœux cette illustre conquête,
Et par ce fier Rival sans cesse traversé,
Je frémis de sa perte, et m'y trouve forcé.

Onomaste
Ce refus n'est-il pas une marque assurée
Qu'avec lui la Princesse a la vôtre jurée ?
La Thrace dès longtemps unie à nos États
La doit laisser Sujette à ne vous choisir pas,
Et dans l'ambition dont on la voit capable,
Croiriez-vous à ses yeux Démétrius : aimable,
Si l'appui des Romains n'avoit su l'assurer
Qu'au trône malgré vous il a droit d'aspirer ?
En seroit-il aimé s'il ne la faisoit pas Reine ?

Persée
Non, Onomaste, non, et c'est ce qui me gêne
Que de son cœur en vain je tâche à l'éloigner,
Si sa mort ne me laisse assuré de régner.

Onomaste
Quoi, Seigneur, en effet vous cherchez à lui plaire.

Persée
D'abord je n'eus dessein que de nuire à ce frère.
Ayant su son amour, par un décret fatal,
Sans me sentir amant je me fis son Rival ;
Mais las ! Je n'appris pas longtemps à la connoître
Qu'en secret je devins ce que je feignois d'être.
Son mérite à mes yeux vivement exposé
Me fit naître un vrai mal d'un tourment supposé,
Et mon cœur qu'aux soupirs forçoit un peu d'étude
Ne s'en fit que trop tôt une douce habitude.

Onomaste
Seigneur, s'il est ainsi, j'imagine un dessein
Dont le succès pour vous ne peut être incertain,
Vous assurez vos droits, ou gagnez la Princesse.
Contre Démétrius : faisons agir l'adresse,
Tant que le Roi craignant ses secrets attentats
Le force d'épouser la fille de Didas.
Pour s'assurer de lui le prétexte est plausible,
Didas garde pour Rome une haine invincible,
Et contre les projets dont s'alarme le Roi,
Le Prince étant son gendre, il répond de sa foi.

Persée
Mais sa brigue par là se rendroit plus puissante ?

Onomaste
Seigneur, à cet hymen vous croyez qu'il consente,
Lui qui pour la Princesse ardemment enflammé
Prétend n'aimer qu'autant qu'il se connoît aimé,
Non, non, je n'en mets point le refus en balance,
Il saura de Didas rejeter l'alliance,
Et d'un pareil mépris Didas trop indigné
Contre lui par nos soins sera bientôt gagné.
Jugez pour s'en venger ce qu'il doit entreprendre.

Persée
Mais si par Politique il s'en veut faire Gendre,
Didas que flatteront les orgueilleux desseins
Se peut mettre avec lui du parti des Romains ?

Onomaste
Alors si jusque-là son courage s'abaisse
Son infidélité vous acquiert la Princesse,
Qui dans les vifs transports de son juste courroux
Ne peut mieux le punir qu'en se donnant à vous.
Quant au trône, Seigneur, quoi que Didas pût faire,
Le Ciel qui vous y place en exclut votre frère,
Et pour vous maintenir dans ce rang glorieux,
Nous saurons, s'il le faut, prêter secours aux Dieux.

Persée
J'aurois tort de combattre un avis si fidèle,
Et m'abandonne entier à l'ardeur de ton zèle.
La Princesse paroît, adieu, retire-toi,
Tu peux sur ce dessein sonder l'esprit du Roi.


Autres textes de Thomas Corneille

Stilicon

La pièce "Stilicon" de Thomas Corneille est une tragédie historique en cinq actes qui se déroule dans la Rome antique et met en scène des intrigues politiques, des trahisons, des...

L'Inconnu

La pièce "L'Inconnu" de Thomas Corneille est une comédie en cinq actes où les thèmes de l'amour, des stratagèmes et des quiproquos sont centraux. L'histoire met en scène une veuve,...

Les Illustres Ennemis

La pièce "Les Illustres Ennemis" de Thomas Corneille est une tragédie en cinq actes qui explore des thèmes classiques tels que l'honneur, l'amour contrarié, la vengeance, et les tensions familiales....

Le Galant doublé

La pièce "Le Galant doublé" de Thomas Corneille est une comédie qui repose sur des quiproquos, des déguisements et des intrigues amoureuses. L’histoire tourne autour de Dom Fernand, un jeune...

Le Festin de pierre

La pièce "Le Festin de pierre", écrite par Thomas Corneille et créée en 1677, est une adaptation en vers de la célèbre comédie "Dom Juan" de Molière (1665). Elle raconte...



Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2025