Le Triomphe de l'amour
-
Acte III - Scène IX

Marivaux

Acte III - Scène IX


AGIS, PHOCION

AGIS (sans voir Phocion.)
Je suis au désespoir !

PHOCION
Les voilà donc partis, ces importuns ! Mais qu'avez-vous, Agis ? Vous ne me regardez pas ?

AGIS
Que venez-vous faire ici ? Qui de nous trois doit vous épouser, d'Hermocrate, de Léontine ou de moi ?

PHOCION
Je vous entends ; tout est découvert.

AGIS
N'avez-vous pas votre portrait à me donner, comme aux autres ?

PHOCION
Les autres n'auraient pas eu ce portrait, si je n'avais pas eu dessein de vous donner la personne.

AGIS
Et moi, je la cède à Hermocrate. Adieu, perfide ; adieu, cruelle ! Je ne sais de quels noms vous appeler. Adieu pour jamais. Je me meurs !…

PHOCION
Arrêtez, cher Agis ; écoutez-moi.

AGIS
Laissez-moi, vous dis-je.

PHOCION
Non, je ne vous quitte plus ; craignez d'être le plus ingrat de tous les hommes, si vous ne m'écoutez pas.

AGIS
Moi, que vous avez trompé !

PHOCION
C'est pour vous que j'ai trompé tout le monde, et je n'ai pu faire autrement ; tous mes artifices sont autant de témoignages de ma tendresse, et vous insultez, dans votre erreur, au cœur le plus tendre qui fut jamais. Je ne suis point en peine de vous calmer ; tout l'amour que vous me devez, tout celui que j'ai pour vous, vous ne le savez pas. Vous m'aimerez, vous m'estimerez, vous me demanderez pardon.

AGIS
Je n'y comprends rien.

PHOCION
J'ai tout employé pour abuser des cœurs dont la tendresse était l'unique voie qui me restait pour obtenir la vôtre, et vous étiez l'unique objet de tout ce qu'on m'a vu faire.

AGIS
Hélas ! puis-je vous en croire, Aspasie ?

PHOCION
Dimas et Arlequin, qui savent mon secret, qui m'ont servie, vous confirmeront ce que je vous dis là ; interrogez-les, mon amour ne dédaigne pas d'avoir recours à leur témoignage.

AGIS
Ce que vous me dites là est-il possible, Aspasie ? On n'a donc jamais tant aimé que vous le faites.

PHOCION
Ce n'est pas là tout ; cette Princesse, que vous appelez votre ennemie et la mienne…

AGIS
Hélas ! s'il est vrai que vous m'aimiez, peut-être un jour vous fera-t-elle pleurer ma mort ; elle n'épargnera pas le fils de Cléomène.

PHOCION
Je suis en état de vous rendre l'arbitre de son sort.

AGIS
Je ne lui demande que de nous laisser disposer du nôtre.

PHOCION
Disposez vous-même de sa vie ; c'est son cœur ici qui vous la livre.

AGIS
Son cœur ! vous Léonide, Madame ?

PHOCION
Je vous disais que vous ignoriez tout mon amour, et le voilà tout entier.

AGIS (se jette à genoux.)
Je ne puis plus vous exprimer le mien.


Autres textes de Marivaux

L'Île des esclaves

L'Île des esclaves, comédie en un acte écrite par Marivaux en 1725, se déroule sur une île utopique où les rapports sociaux sont inversés pour rétablir la justice. L'intrigue débute...

L'Île de la raison

L'Île de la raison, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1727, se déroule sur une île imaginaire gouvernée par la raison et la vérité, où les habitants vivent...

L'Heureux Stratagème

L'Heureux Stratagème, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1733, raconte les manœuvres subtiles de deux amants pour raviver leur amour mis à l'épreuve. La marquise et le chevalier,...

L'Héritier de village

L'Héritier de village, comédie en un acte écrite par Marivaux en 1725, raconte les mésaventures d’un jeune homme naïf, Eraste, nouvellement désigné comme héritier d’un riche villageois. L’histoire se déroule...

Les Serments indiscrets

Les Serments indiscrets, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1732, explore les contradictions de l’amour et de la parole donnée. L’intrigue tourne autour de Lucile et Damis, deux...



Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2025