PHOCION, HERMOCRATE, DIMAS
DIMAS (disant rapidement à Phocion.)
Il a, morgué ! bian fait de s'en aller ; car velà le jaloux qui arrive.
Dimas se retire.
PHOCION
Vous paraissez donc enfin, Hermocrate ? Pour dissiper le penchant qui m'occupe, n'avez-vous imaginé que l'ennui où vous me laissez ? Il ne vous réussira pas, je n'en suis que plus triste, et n'en suis pas moins tendre.
HERMOCRATE
Différentes affaires m'ont retenu, Aspasie ; mais il ne s'agit plus de penchant ; votre séjour ici est désormais impraticable ; il vous ferait tort ; Dimas sait qui vous êtes. Vous, dirai-je plus ? Il sait le secret de votre cœur ; il vous a entendu ; ne nous fions ni l'un ni l'autre à la discrétion de ses pareils. Il y va de votre gloire, il faut vous retirer.
PHOCION
Me retirer, Seigneur ! Eh dans quel état me renvoyez-vous ? Avec mille fois plus de trouble que je n'en avais. Qu'avez-vous fait pour me guérir ? À quel vertueux secours ai-je reconnu le sage Hermocrate ?
HERMOCRATE
Que votre trouble finisse à ce que je vais vous dire. Vous m'avez cru sage ; vous m'avez aimé sur ce pied-là : je ne le suis point. Un vrai sage croirait en effet sa vertu comptable de votre repos ; mais savez-vous pourquoi je vous renvoie ? C'est que j'ai peur que votre secret n'éclate, et ne nuise à l'estime qu'on a pour moi ; c'est que je vous sacrifie à l'orgueilleuse crainte de ne pas paraître vertueux, sans me soucier de l'être ; c'est que je ne suis qu'un homme vain, qu'un superbe, à qui la sagesse est moins chère que la méprisable et frauduleuse imitation qu'il en fait. Voilà ce que c'est que l'objet de votre amour.
PHOCION
Eh ! je ne l'ai jamais tant admiré !
HERMOCRATE
Comment donc ?
PHOCION
Ah ! Seigneur, n'avez-vous que cette industrie-là contre moi ? Vous augmentez mes faiblesses en exposant l'opprobre dont vous avez l'impitoyable courage de couvrir les vôtres. Vous dites que vous n'êtes point sage ! Et vous étonnez ma raison par la preuve sublime que vous me donnez du contraire !
HERMOCRATE
Attendez, Madame. M'avez-vous cru susceptible de tous les ravages que l'amour fait dans le cœur des autres hommes ? Eh bien ! l'âme la plus vile, les amants les plus vulgaires, la jeunesse la plus folle, n'éprouvent point d'agitations que je n'aie senties ; inquiétudes, jalousies, transports, m'ont agité tour à tour. Reconnaissez-vous Hermocrate à ce portrait ? L'univers est plein de gens qui me ressemblent. Perdez donc un amour que tout homme pris au hasard mérite autant que moi, Madame.
PHOCION
Non, je le répète encore, si les dieux pouvaient être faibles, ils le seraient comme Hermocrate ! Jamais il ne fut plus grand, jamais plus digne de mon amour, et jamais mon amour plus digne de lui ! Juste ciel ! Vous parlez de ma gloire : en est-il qui vaille celle de vous avoir causé le moindre des mouvements que vous dites ? Non, c'en est fait, Seigneur, je ne vous demande plus le repos de mon cœur ; vous me le rendez par l'aveu que vous me faites ; vous m'aimez, je suis tranquille et charmée. Vous me garantissez notre union.
HERMOCRATE
Il me reste un mot à vous dire, et je finis par là. Je révélerai votre secret ; je déshonorerai cet homme que vous admirez ; et son affront rejaillira sur vous-même, si vous ne partez.
PHOCION
Eh bien ! Seigneur, je pars : mais je suis sûre de ma vengeance ; puisque vous m'aimez, votre cœur me la garde. Allez, désespérez le mien ; fuyez un amour qui pouvait faire la douceur de votre vie, et qui va faire le malheur de la mienne. Jouissez, si vous voulez, d'une sagesse sauvage, dont mon infortune va vous assurer la durée cruelle. Je suis venue vous demander du secours contre mon amour ; vous ne m'en avez point donné d'autre que m'avouer que vous m'aimiez ; c'est après cet aveu que vous me renvoyez ; après un aveu qui redouble ma tendresse ! Les dieux détesteront cette même sagesse conservée aux dépens d'un jeune cœur que vous avez trompé, dont vous avez trahi la confiance, dont vous n'avez point respecté les intentions vertueuses, et qui n'a servi que de victime à la férocité de vos opinions.
HERMOCRATE
Modérez vos cris, Madame ; on vient à nous.
PHOCION
Vous me désolez, et vous voulez que je me taise !
HERMOCRATE
Vous m'attendrissez plus que vous ne pensez ; mais n'éclatez point.
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