PHOCION, LÉONTINE, ARLEQUIN
(Arlequin vient se mettre entre eux deux, sans rien dire.)
PHOCION
Que fait donc là ce domestique, Madame ?
ARLEQUIN
Le seigneur Hermocrate m'a ordonné d'examiner votre conduite, parce qu'il ne vous connaît point.
PHOCION
Mais dès que je suis avec Madame, ma conduite n'a pas besoin d'un espion comme toi. (À Léontine.)
Dites-lui qu'il se retire, Madame, je vous en prie.
LÉONTINE
Il vaut mieux me retirer moi-même.
PHOCION (bas à Léontine.)
Si vous vous en allez sans promettre de parler pour moi, je ne réponds plus de ma raison.
LÉONTINE (émue)
Ah ! (À Arlequin.)
Va-t'en, Arlequin ; il n'est pas nécessaire que tu restes ici.
ARLEQUIN
Plus nécessaire que vous ne pensez, Madame ; vous ne savez pas à qui vous avez affaire : ce Monsieur-là n'est pas si friand de la sagesse que des filles sages ; et je vous avertis qu'il veut déniaiser la vôtre.
LÉONTINE (faisant signe à Phocion)
Que veux-tu dire, Arlequin ? Rien ne m'annonce ce que tu dis là, et c'est une plaisanterie que tu fais.
ARLEQUIN
Oh ! que nenni ! Tenez, Madame, tantôt son valet, qui est un autre espiègle, est venu me dire : Eh bien ! qu'est-ce ? Y a-t-il moyen d'être amis ensemble ?… Oh ! de tout mon cœur… Que vous êtes heureux d'être ici !… Pas mal… Les honnêtes gens que vos maîtres !… Admirables… Que votre maîtresse est aimable !… Oh ! divine… Eh ! dites-moi, a-t-elle eu des amants ?… Tant qu'elle en a voulu… En a-t-elle à cette heure ?… Tant qu'elle en veut… En aura-t-elle encore ?… Tant qu'elle en voudra… A-t-elle envie de se marier ?… Elle ne me dit pas ses envies… Restera-t-elle fille ?… Je ne garantis rien… Qui est-ce qui la voit, qui est-ce qui ne la voit pas ? Vient-il quelqu'un, ne vient-il personne ?… Et par-ci et par-là… Est-ce que votre maître en est amoureux ?… Chut ! Il en perd l'esprit : nous ne restons ici que pour lui avoir le cœur, afin qu'elle nous épouse ; car nous avons des richesses et des flammes plus qu'il n'en faut pour dix ménages.
PHOCION
N'en as-tu pas dit assez ?
ARLEQUIN
Voyez comme il s'en soucie ; il vous donnera le supplément, si vous voulez.
LÉONTINE
N'est-il pas vrai, seigneur Phocion, qu'Hermidas n'a fait que s'amuser en lui disant cela ? Phocion ne répond rien !
ARLEQUIN
Ahi ! ahi ! la voix vous manque, ma chère maîtresse ; votre cœur prend congé de la compagnie, on le pille actuellement, et je vais faire venir le seigneur Hermocrate à votre secours.
LÉONTINE
Arrête, Arlequin, où vas-tu ? Je ne veux point qu'il sache qu'on me parle d'amour.
ARLEQUIN
Oh ! puisque le fripon est de vos amis, ce n'est pas la peine de crier au voleur. Que la sagesse s'accommode ; mariez-vous ; il y aura encore de la place pour elle : le métier de brave femme a bien son mérite. Adieu, Madame ; n'oubliez pas la discrétion de votre petit serviteur, qui vous fait ses compliments, et qui ne dira mot.
PHOCION
Va, je me charge de payer ton silence.
LÉONTINE
Où suis-je ? tout ceci me paraît un songe : voyez à quoi vous m'exposez ; mais qui vient encore ?
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