Le Triomphe de l'amour
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ACTE II - Scène XVII

Marivaux

ACTE II - Scène XVII


HERMOCRATE, LÉONTINE

LÉONTINE
Ah ! vous voilà, mon frère ; je vous demande à tout le monde.

HERMOCRATE
Que me voulez-vous, Léontine ?

LÉONTINE
À quoi en êtes-vous avec Phocion ? Êtes-vous toujours dans le dessein de le renvoyer ? Il m'a tantôt marqué tant d'estime pour vous, il m'en a dit tant de bien, que je lui ai promis qu'il resterait, et que vous y consentiriez ; je lui en ai donné ma parole : son séjour sera court, et ce n'est pas la peine de m'en dédire.

HERMOCRATE
Non, Léontine ; vous savez mes égards pour vous, et je ne vous en dédirai point : dès que vous avez promis, il n'y a plus de réplique ; il restera tant qu'il voudra, ma sœur.

LÉONTINE
Je vous rends grâce de votre complaisance, mon frère ; et en vérité Phocion mérite bien qu'on l'oblige.

HERMOCRATE
Je sens tout ce qu'il vaut.

LÉONTINE
D'ailleurs, je regarde que c'est, en passant, un amusement pour Agis, qui vit dans une solitude dont on se rebute quelquefois à son âge.

HERMOCRATE
Quelquefois à tout âge.

LÉONTINE
Vous avez raison ; on y a des moments de tristesse. Je m'y ennuie souvent moi-même ; j'ai le courage de vous le dire.

HERMOCRATE
Qu'appelez-vous courage ? Et qui est-ce qui ne s'y ennuierait pas ? N'est-on pas né pour la société ?

LÉONTINE
Écoutez ; on ne sait pas ce qu'on fait, quand on se confine dans la retraite ; et nous avons été bien vite, quand nous avons pris un parti si dur.

HERMOCRATE
Allez, ma sœur, je n'en suis pas à faire cette réflexion-là.

LÉONTINE
Après tout, le mal n'est pas sans remède ; heureusement on peut se raviser.

HERMOCRATE
Oh ! fort bien.

LÉONTINE
Un homme, à votre âge, sera partout le bienvenu quand il voudra changer d'état.

HERMOCRATE
Et vous, qui êtes aimable et plus jeune que moi, je ne suis pas en peine de vous non plus.

LÉONTINE
Oui, mon frère, peu de jeunes gens vont de pair avec vous ; et le don de votre cœur ne sera pas négligé.

HERMOCRATE
Et moi, je vous assure qu'on n'attendra pas d'avoir le vôtre pour vous donner le sien.

LÉONTINE
Vous ne seriez donc pas étonné que j'eusse quelques vues ?

HERMOCRATE
J'ai toujours été surpris que vous n'en eussiez pas.

LÉONTINE
Mais, vous qui parlez, pourquoi n'en auriez-vous pas aussi ?

HERMOCRATE
Eh ! que sait-on ? Peut-être en aurais-je.

LÉONTINE
J'en serais charmée, Hermocrate, nous n'avons pas plus de raison que les dieux qui ont établi le mariage ; et je crois qu'un mari vaut bien un solitaire. Pensez-y ; une autre fois nous en dirons davantage. Adieu.

HERMOCRATE
J'ai quelques ordres à donner, et je vous suis. (À part.)
À ce que je vois, nous sommes tous deux en bel état, Léontine et moi. Je ne sais à qui elle en veut ; peut-être est-ce à quelqu'un aussi jeune pour elle que l'est Aspasie pour moi. Que nous sommes faibles ! mais il faut remplir sa destinée.


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