PHOCION, LÉONTINE
PHOCION
J'allais vous trouver, Madame : on m'a appris ce qui se passe ; Hermocrate veut se dédire de la grâce qu'il m'avait accordée, et je suis dans un trouble inexprimable.
LÉONTINE
Oui, Phocion ; Hermocrate, par une opiniâtreté qui me paraît sans fondement, refuse de tenir la parole qu'il m'a donnée : vous m'allez dire que je le presse encore ; mais je viens vous avouer que je n'en ferai rien.
PHOCION
Vous n'en ferez rien, Léontine ?
LÉONTINE
Non, ses refus me rappellent moi-même à la raison.
PHOCION
Et vous appelez cela retrouver la raison ? Quoi ? ma tendresse aura borné mes vues ; je n'aurai cherché qu'à vous la dire, je vous l'aurai dite, je me serai mis hors d'état de guérir jamais, j'aurai même espéré de vous toucher, et vous voulez que je vous quitte ! Non, Léontine, cela n'est pas possible ; c'est un sacrifice que mon cœur ne saurait plus vous faire : moi, vous quitter ! eh ! où voulez-vous que j'en trouve la force ? me l'avez-vous laissée ? voyez ma situation. C'est à votre vertu même à qui je parle, c'est elle que j'interroge ; qu'elle soit juge entre vous et moi. Je suis chez vous ; vous m'y avez souffert ; vous savez que je vous aime ; me voilà pénétré de la passion la plus tendre ; vous me l'avez inspirée, et je partirais ! Eh ! Léontine, demandez-moi ma vie, déchirez mon cœur, ils sont tous deux à vous ; mais ne me demandez point des choses impossibles.
LÉONTINE
Quelle vivacité de mouvements ! Non, Phocion, jamais je ne sentis tant la nécessité de votre départ, et je ne m'en mêle plus. Juste ciel ! que deviendrait mon cœur avec l'impétuosité du vôtre ? Suis-je obligée, moi, de soutenir cette foule d'expressions passionnées qui vous échappent ? Il faudrait donc toujours combattre, toujours résister, et ne jamais vaincre. Non, Phocion ; c'est de l'amour que vous voulez m'inspirer, n'est-ce pas ? Ce n'est pas la douleur d'en avoir que vous voulez que je sente, et je ne sentirais que cela : ainsi, retirez-vous, je vous en conjure, et laissez-moi dans l'état où je suis.
PHOCION
De grâce, ménagez-moi, Léontine ; je m'égare à la seule idée de partir ; je ne saurais plus vivre sans vous : je vais remplir ces lieux de mon désespoir ; je ne sais plus où je suis !
LÉONTINE
Et parce que vous êtes désolé, il faut que je vous aime ? Qu'est-ce que cette tyrannie-là ?
PHOCION
Est-ce que vous me haïssez ?
LÉONTINE
Je le devrais.
PHOCION
Les dispositions de votre cœur me sont-elles favorables ?
LÉONTINE
Je ne veux point les écouter.
PHOCION
Oui, mais moi, je ne saurais renoncer à les suivre.
LÉONTINE
Arrêtez ; j'entends quelqu'un.
L'Île des esclaves, comédie en un acte écrite par Marivaux en 1725, se déroule sur une île utopique où les rapports sociaux sont inversés pour rétablir la justice. L'intrigue débute...
L'Île de la raison, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1727, se déroule sur une île imaginaire gouvernée par la raison et la vérité, où les habitants vivent...
L'Heureux Stratagème, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1733, raconte les manœuvres subtiles de deux amants pour raviver leur amour mis à l'épreuve. La marquise et le chevalier,...
L'Héritier de village, comédie en un acte écrite par Marivaux en 1725, raconte les mésaventures d’un jeune homme naïf, Eraste, nouvellement désigné comme héritier d’un riche villageois. L’histoire se déroule...
Les Serments indiscrets, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1732, explore les contradictions de l’amour et de la parole donnée. L’intrigue tourne autour de Lucile et Damis, deux...