ACTE II - Scène IV


ERNEST, HERMANCE

HERMANCE
(entre avec précaution par la porte de gauche, pan coupé, et la referme, même jeu)
(à la porte de droite; après examen, elle court au fauteuil et secoue vivement ERNEST.)
Ernest !

ERNEST
(réveillé en sursaut, laisse tomber la gouttière.)
Hein?… quoi?… Voilà le cataplasme!…

HERMANCE
Chut !

ERNEST
(il ramasse la gouttière.)
Ah ! c'est vous…

HERMANCE
J'ai pu m'échapper un instant… mon mari fait sa barbe… il va mieux aujourd'hui…

ERNEST
Je crois bien !

HERMANCE
II ne souffre plus.

ERNEST
Parbleu! j'ai fait chauffer assez de serviettes!… j'ai assez fricassé de cataplasmes !

HERMANCE
Vous avez passé une bien mauvaise soirée.

ERNEST
Mais non !… excellente !… Ah ! vous pouvez vous vanter de m'avoir fait passer une nuit bien agréable… sur le divan… car il m'a forcé à coucher sur le divan avec la gouttière !… Que voulez-vous que j'en fasse?

HERMANCE
Cachez-la… faites-la disparaître. (Très tendre.)
Mon ami !…

ERNEST
(cache la gouttière sous le fauteuil de gauche.)
Madame?…

HERMANCE
II souffrait tant !… moi, je veillais dans sa chambre.

ERNEST
Et de mon divan j'entendais votre conversation.

HERMANCE
(un peu inquiète.)
Ah! vous entendiez?…

ERNEST
Tout !… à deux heures moins cinq qu'avez-vous dit à votre mari ?

HERMANCE
Mais… je ne sais pas, moi…

ERNEST
Vous lui avez dit : "Mon gros chéri, si tu mourais, je ne te survivrais pas." Si vous croyez que c'est agréable !

HERMANCE
(embarrassée.)
II faut détourner les soupçons…

ERNEST
Et à quatre heures douze?…

HERMANCE
Quoi ?

ERNEST
J'ai entendu le sifflement d'un baiser… Si vous croyez que c'est agréable !

HERMANCE
Ce n'est pas ma faute!… il faut bien détourner les…

ERNEST
Les soupçons… Je trouve que vous les détournez beaucoup trop les soupçons !

HERMANCE
(s'appuyant sur son épaule.)
N'est-ce pas vous qui êtes aimé?

ERNEST
Oui, c'est moi qui suis aimé… mais c'est lui qui en profite…

HERMANCE
(piquée.)
Seriez-vous jaloux par hasard du sort de mon mari?

ERNEST
Ma foi!… ils ne sont pas déjà tant à plaindre les maris !…

HERMANCE
Oh !

ERNEST
Oui, je sais qu'il y a le petit inconvénient… mais puisqu'ils l'ignorent ! A part cela, de quoi se plaignent-ils ? nous les soignons, nous les dorlotons, nous les mijotons… ils sont gras, rosés, frais, gais, superbes !… tandis que nous, les amoureux, nous sommes maigres, jaloux, craintifs, tremblants… comme des voleurs.

HERMANCE
Ernest !

ERNEST
Pour eux, la table est toujours mise, ils s'y installent, ils s'y carrent ! tandis que nous, nous nous cachons dans les meubles, nous grimpons sur les gouttières… pour venir ramasser leurs miettes… quand ils veulent bien nous en laisser !… Ah ! il ne faut pas qu'ils viennent nous attendrir tant que ça ! (Il s'assied sur la petite chaise de gauche.)
Et, par-dessus le marché, votre mari me trouve bête!… bête… mais dévoué…

HERMANCE
(allant vers lui.)
II n'a pas dit ça !

ERNEST
Pardon, madame, à trois heures vingt-sept… ma montre va très bien. (Il la cherche dans sa poche et ne la trouve pas.)
Tiens ! Ah ! elle sera restée dans ma chambre… Bête, mais dévoué !… et vous n'avez pas dit le contraire… au contraire!

HERMANCE
(s'asseyant sur le fauteuil près d'ERNEST.)
Voyons… calmez-vous!… j'arrive près de vous heureuse… confiante…

ERNEST
(qui a fait entendre un petit grognement, se retourne doucement et se met à genoux devant HERMANCE.)
Ce n'est pas malheureux ! Depuis deux mois, je crois que c'est la première fois que je me trouve un peu seul avec vous. (Lui prenant la taille.)
Eh bien?

HERMANCE
Quoi?…

ERNEST
Causons… le moment est venu de causer…
(On entend tousser JOBELIN dans la chambre à côté.)

HERMANCE
(se reculant avec terreur.)
Ciel !… il y a quelqu'un là !

ERNEST
(même jeu et passant à droite.)
Allons, bon !
(On entend JOBELIN se moucher.)

HERMANCE
C'est mon mari ! je le reconnais à son rhume !

ERNEST
Sapristi !

HERMANCE
(éperdue.)
II nous épiait… nous sommes perdus ! niez tout!… tout!…
(Elle sort par la droite, pan coupé.)


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