HERMANCE, puis MARJAVEL, puis PETUNIA
HERMANCE
(seule.)
Elle me tient ! nous aurons commis quelque imprudence. Et Ernest qui n'est pas là !
MARJAVEL
(entrant.)
Ernest n'est pas arrivé ?
HERMANCE
(s'oubliant.)
Non, je l'attends.
MARJAVEL
Moi aussi, parbleu !… Onze heures !… Je parie qu'il est encore à sa toilette ! S'il croit que je l'ai invité à venir à ma campagne pour se cirer les moustaches !… Ah ! je finirai par prendre un parti !
HERMANCE
Lequel ?
MARJAVEL
J'en inviterai un autre !
HERMANCE
Tu es injuste ; hier, il a arrosé ton jardin jusqu'à neuf heures du soir, pendant que tu fumais ton cigare.
MARJAVEL
Moi, je ne puis pas arroser, ça me fait mal aux reins. Mais après, pour le récompenser, j'ai fait son bésigue.
HERMANCE
C'est-à-dire qu'il a fait le tien !
MARJAVEL
Pourquoi le mien plutôt que le sien ?
HERMANCE
II déteste le jeu !
MARJAVEL
Lui?… alors, pourquoi me dit-il tous les soirs: "Eh bien, papa Marjavel, est-ce que nous ne faisons pas notre petite partie?…" Tu t'assois près de nous avec ton ouvrage… alors ses yeux brillent… s'allument…
HERMANCE
(vivement.)
C'est la vue des cartes.
MARJAVEL
Parbleu ! je m'en suis bien aperçu ! Veux-tu que je te dise ? Ernest est joueur ! il n'aime pas les chevaux, il n'aime pas la table, il n'aime pas les femmes… du moins je n'ai jamais remarqué…
HERMANCE
Moi non plus !
MARJAVEL
Donc, il est joueur ! donc, il finira mal !… Il faudra que je prévienne Jobelin, son oncle… Mais il ne s'agit pas de ça ! Tu as vu Pétunia? L'as-tu…?
HERMANCE
(à part.)
Que lui dire?… (Elle court prendre le petit paquet enveloppé que PETUNIA a déposé sur un meuble.)
Mon ami… permets-moi…
MARJAVEL
Quoi donc ? f: HERMANCE, lui présentant une calotte.
C'est aujourd'hui ta fête… la Saint-Alphonse…
MARJAVEL
Une calotte !
HERMANCE
(elle arrache vivement l'étiquette qui pendait après.)
Brodée par moi, en cachette.
MARJAVEL
(l'embrassant.)
Ah ! chère amie ! que tu es bonne !
HERMANCE
Et comme tu t'enrhumes souvent du cerveau l'hiver…
MARJAVEL
C'est vrai… Ça me grossit le nez.
HERMANCE
J'ai fait ouater l'intérieur avec de l'édredon.
MARJAVEL
(épanoui.)
De l'édredon !… Elle m'entoure d'édredon ! ma parole, il n'y a pas sous le ciel un homme plus heureux que moi ! Avec ma première femme (HERMANCE remet la calotte sur le petit meuble)
, c'était la même chose… J'ai une chance de… pendu! (Tendrement.)
Hermance… (HERMANCE vient près de lui)
, tu n'as pas affaire à un ingrat, et, ce soir… j'irai lire mon journal dans ta chambre.
HERMANCE
(baissant les yeux.)
Tais-toi donc !
MARJAVEL
(la lutinant.)
Tu ne veux pas que j'aille lire mon journal dans ta chambre?… Dis-le donc ! dis-le donc !… Ah ! tu ne le dis pas!
HERMANCE
Voyons… Marjavel… tu es fou!
MARJAVEL
(poussant un cri.)
Ah ! sapristi !
HERMANCE
Quoi donc?
MARJAVEL
Puisque c'est aujourd'hui ma fête, nous allons recevoir des visites ! Jobelin… avec son bouquet, il n'y manque jamais… et puis la petite Berthe, sa nièce… et Isaure, ma sœur.
HERMANCE
Eh bien?
MARJAVEL
Comment allons-nous faire? Nos Alsaciens ne sont pas arrivés, et tu as renvoyé Pétunia… Il ne nous reste qu'Ernest.
HERMANCE
Non, je n'ai pas renvoyé Pétunia.
MARJAVEL
Ah ! tant mieux ! ce sera pour demain.
HERMANCE
Cette fille est dans une position très intéressante.
MARJAVEL
Allons, bon ! le pompier !
HERMANCE
Mais non ! tu ne comprends pas… Je veux dire très digne d'intérêt.
MARJAVEL
Elle ? allons donc !
HERMANCE
Je l'ai fait parler… Elle élève, avec ses faibles gages, deux orphelins, dans une mansarde.
MARJAVEL
Pas possible?…
HERMANCE
Et elle leur fait donner une très bonne éducation… sur ses économies.
MARJAVEL
Tiens ! tiens ! qui est-ce qui se serait douté de ça?
HERMANCE
C'est une vie de sacrifice… de dévouement… Elle a renoncé pour eux aux joies de la famille.
MARJAVEL
Ah ! c'est bien !… Ah ça ! et le pompier?
HERMANCE
(embarrassée.)
Le pompier… c'est leur père…
MARJAVEL
Alors ils ne sont pas orphelins…
HERMANCE
(souriant.)
Oh ! un pompier… ce n'est pas un père… il est toujours dans le feu !
MARJAVEL
(passant à la petite table de droite, sur laquelle est une sonnette.)
C'est juste. Je suis d'autant plus touché de la conduite de Pétunia, que j'ai absolument besoin d'elle.
(Il sonne.)
HERMANCE
Qu'est-ce que tu fais ?
MARJAVEL
Je la sonne… Je vais lui adresser quelques mots. (PETUNIA paraît.)
Approchez, mademoiselle, approchez.
PETUNIA
Monsieur ?
MARJAVEL
Je sais tout. Continuez, mademoiselle, à marcher dans cette voie d'abnégation et de sacrifices que vous vous êtes tracée…
PETUNIA
Plaît-il ?
MARJAVEL
L'orphelin porte bonheur. (Il passe devant elle.)
Continuez, mademoiselle, continuez, l'orphelin porte bonheur.
(Il sort par la gauche.)
PETUNIA
(allant vivement à Hermance.)
Quel orphelin ?
HERMANCE
(bas, à PETUNIA, en gagnant la porte.)
Taisez-vous donc, puisqu'on vous garde.
(Elle disparaît par la porte où est sorti son mari.)
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