ACTE I - Scène IX


LES MEMES, BERTHE

JOBELIN
(apercevant BERTHE qui paraît au fond. Il va au-devant d'elle .)
Ah ! voici ma nièce…

BERTHE
(entrant du fond avec des bretelles dans un papier; elle salue HERMANCE qui a remonté à son entrée.)
Bonjour, madame… (Allant à MARJAVEL.)
Monsieur Marjavel, permettez-moi de vous offrir…

JOBELIN
(vivement.)
L'ouvrage de ses doigts… Je l'ai vu faire…

MARJAVEL
(qui a déployé le papier.)
Une paire de bretelles… merci, chère enfant… Je vous promets de les porter tout seul !…

JOBELIN
(à part.)
Je comprends les bretelles… mais le rhum!…

BERTHE
(à ERNEST.)
Bonjour, cousin ; vous avez oublié votre paletot chez mon oncle… et voici ce qui est tombé de la poche.
(Elle tire l'éventail de sa poche.)

HERMANCE
(à part.)
Mon éventail !

ERNEST
(à part.)
Petite bête !

MARJAVEL
Voyons?… très joli !

ERNEST
(bas, à HERMANCE,)
II va le reconnaître !

HERMANCE
(de même.)
Nous sommes perdus !
(BERTHE remonte et gagne la gauche.)

MARJAVEL
(prenant l'éventail à ERNEST.)
Ah ! mon gaillard ! vous laissez traîner des
(éventails dans vos poches de paletot.)

JOBELIN
(à part, suivant l'éventail des yeux.)
II ressemble à celui de Mélanie.

ERNEST
Monsieur Marjavel, n'allez pas croire…

MARJAVEL
Je crois que cet éventail appartient à une femme !… mais ce qu'il y a de sûr… c'est que ce n'est pas à la mienne.

HERMANCE
(s'efforçant de sourire.)
Certainement…

ERNEST
(nerveux et riant.)
Ah ! très drôle ! très drôle !

JOBELIN
(prenant l'éventail des mains de MARJAVEL.)
Voulez-vous permettre?… (Éclatant.)
Juste… je le reconnais… c'est…

TOUS
Quoi ?

JOBELIN
(se maîtrisant.)
C'est… c'est l'éventail d'Anne d'Autriche.

ERNEST
Que je viens d'acheter pour l'offrir à ma cousine Berthe.

BERTHE
A moi ? Oh ! que je suis contente ! (Bas, à JOBELIN.)
Vous voyez bien qu'il m'aime.

JOBELIN
C'est incroyable.

BERTHE
Qu'y a-t-il d'incroyable?

JOBELIN
Non, je dis : c'est incroyable comme il ressemble à celui que j'ai donné…

BERTHE
A qui ?

JOBELIN
A Anne d'Autriche !… Ah ! je ne sais plus ce que je dis!
(BERTHE et JOBELIN remontent au fond.)

MARJAVEL
Mes amis, nous passerons notre journée ensemble, j'ai un projet. (Il sonne et aperçoit la tête du cerf, dont les cornes sont retournées et poussant un cri.)
Ah !

TOUS
Quoi ?

MARJAVEL
(à la cheminée.)
On a touché à ma tête !

HERMANCE
Non !

ERNEST
Non !

JOBELIN
Non !

MARJAVEL
Mais si, les cornes sont retournées du côté du mur !

JOBELIN
(à part.)
Maladroit !

ERNEST
(à part.)
Quelle faute !

MARJAVEL
(examinant la tête qu'il a prise dans ses mains.)
Ça tourne donc, ça?

HERMANCE
(bas, à ERNEST.)
Avez-vous pris mon billet ?

ERNEST
(bas.)
Non.

HERMANCE
(de même.)
Nous sommes perdus !

MARJAVEL
(voyant l'ouverture qui y est pratiquée.)
Tiens ! ça s'ouvre, ça forme une petite boîte.

HERMANCE
(bas, à ERNEST.)
Le billet n'y est plus.

ERNEST
(bas.)
Quelqu'un l'a pris.

HERMANCE
(de même.)
C'est Pétunia.

JOBELIN
(à part, montrant le billet.)
Comme j'ai bien fait de passer par là !

MARJAVEL
(refermant la tête de cerf.)
C'est très gentil… j'y mettrai des timbres-poste.

PETUNIA
(entrant de droite.)
Madame a sonné ?

HERMANCE
(à part.)
Elle !

ERNEST
(bas, à PETUNIA.)
Voilà vingt francs… brûle-le !

PETUNIA
(étonnée.)
Quoi ?

MARJAVEL
(près de la cheminée, à PETUNIA.)
Allez nous chercher un fiacre… un grand, nous sommes cinq.

PETUNIA
Tout de suite, monsieur.
(Elle sort par le fond.)

MARJAVEL
Nous allons tous aller dîner chez Ledoyen… c'est moi qui régale pour ma fête.

BERTHE
Ah ! quel bonheur ! je n'ai jamais dîné au restaurant !

ERNEST
(bas, à HERMANCE.)
Dites-donc, chez Ledoyen… il y a des bosquets…

HERMANCE
(bas.)
Taisez-vous !

ERNEST
(de même.)
Tiens !… pour sa fête !

PETUNIA
(rentrant un numéro de fiacre à la main. Tous reviennent en scène.)
Le fiacre est en bas… numéro 2114.
(Elle le donne à MARJAVEL.)

HERMANCE, ERNEST et JOBELIN
(poussant un cri en entendant nommer le numéro du fiacre.)
— Ah ! mon Dieu !

MARJAVEL
Eh bien, quoi ?

HERMANCE
Rien, je me suis piquée.

JOBELIN
Je me suis mordu.

ERNEST
J'ai une botte qui me gêne.
(MARJAVEL remonte au fond pour mettre son paletot et BERTHE pour s'arranger. PETUNIA l'aide.)

HERMANCE
(bas, à ERNEST.)
2114. C'est le numéro de notre fiacre.

ERNEST
(bas.)
Je le sais bien.

HERMANCE
(bas.)
II nous a reconnus.

ERNEST
(de même.)
Mais non !

HERMANCE
(de même.)
J'en suis sûre !

ERNEST
(de même.)
Ah ! diable.

HERMANCE
(de même.)
Cachez-vous ! masquez-vous !
(Elle prend sa voilette sur le divan, et, en la pliant s'en fait un masque.)

ERNEST
(à part.)
Qu'est-ce que je pourrais bien me mettre sur la figure ?
(Il avise un petit rideau blanc, à la fenêtre; il le décroche, le roule et s'en fait un cache-nez qui monte jusqu'aux yeux.)

JOBELIN
(à part, en redescendant.)
II n'est pas probable que ce cocher me reconnaisse au bout d'un an… cependant la prudence exige… (Apercevant des lunettes sur la cheminée.)
Les lunettes de Marjavel…
(Il s'applique une paire de lunettes bleues.)

ERNEST
(après avoir pris le rideau.)
J'ai ce qu'il me faut.

MARJAVEL
(les regardant.)
Ah ça ! quelle diable de toilette faites-vous là?

HERMANCE
C'est à cause de la poussière.

JOBELIN
Je crains le soleil.

ERNEST
Et moi les courants d'air. (A part.)
Que diable vais-je faire de la tringle ?

BERTHE
(à ERNEST.)
Un cache-nez au mois d'août !…

ERNEST
(bas.)
Tais-toi et donne-moi le bras !
(Il fourre la tringle dans son pantalon.)

MARJAVEL
Pétunia ! (PETUNIA s'avance.)
S'il vient deux Alsaciens me demander, vous les ferez asseoir… sur une chaise de paille que vous irez prendre dans la cuisine… et vous les prierez de m'attendre.

PETUNIA
Bien, Monsieur.

MARJAVEL
(prenant le bras de sa femme pendant que BERTHE descend vers ERNEST.)
En route !

JOBELIN
(à part.)
Je n'y vois pas du tout avec ça!
(Il se heurte contre HERMANCE.)

ERNEST
(de même.)
La tringle me gêne pour marcher.
(Ils sortent tous par le fond, excepté PETUNIA.)


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