ACTE I - Scène II

HERMANCE
Personne !… (Elle court vivement à une tête de cerf empaillée qui est sur la cheminée et l'ouvre comme une boîte.)
C'est là-dedans que nous cachons notre correspondance. (Regardant dans la boîte.)
Rien !… Il ne m'a pas écrit… Ah ! les hommes ne savent pas aimer !… (Tirant une lettre de sa poche et la remettant dans la boîte qu'elle referme.)
Tandis que moi… tous les jours, un billet…
Aujourd'hui, je lui fais part de mes terreurs… Ce cocher que j'ai vu rôder sous mes fenêtres…

MARJAVEL
(passant sa tête.)
Ernest n'est pas arrivé?…

HERMANCE
Non… je ne l'ai pas vu…

MARJAVEL
(entrant.)
Mais qu'est-ce qu'il fait, cet animal-là? à dix heures !

HERMANCE
Tu as besoin de lui ?

MARJAVEL
Non, non… mais j'aime à le voir… il m'amuse, il a des naïvetés… Hier, on parlait devant lui d'une femme mariée… et légère… il s'est écrié : "Est-ce que c'est possible ? est-ce qu'il y a des femmes qui trompent leurs maris ?…" Un enfant ! quoi, un enfant !

HERMANCE
(riant.)
Oh ! tout à fait !

MARJAVEL
Un jour, il faudra que je m'amuse à le dégourdir.

HERMANCE
(vivement.)
Par exemple ! de quoi vous mêlez-vous ? Est-ce que ça vous regarde ?

MARJAVEL
Non… Je dis ça pour plaisanter… Voyons, ne te fâche pas… Ah ! je savais bien que j'avais quelque chose à te confier.

HERMANCE
Quoi ?

MARJAVEL
Je me suis donné un valet de chambre.

HERMANCE
(étonnée.)
Ah ! c'est une bonne idée.

MARJAVEL
Avec sa femme.

HERMANCE
Ah !

MARJAVEL
Des gens sûrs… parce que je ne veux plus être servi que par des gens sûrs… Je les fais venir d'Alsace.

HERMANCE
D'Alsace?

MARJAVEL
J'ai écrit à mon régisseur : "Mariez-moi un domestique sûr… avec une domestique sûre… et envoyez-les moi…" Ils arrivent aujourd'hui.

HERMANCE
Comment?… Eh bien, et Pétunia?

MARJAVEL
Je crois que le moment est venu de lui indiquer la porte… Est-ce que tu y tiens?

HERMANCE
Oh ! pas du tout !

MARJAVEL
Mon Dieu, ce n'est pas une méchante fille ; mais elle a continuellement un pompier dans sa cuisine.

HERMANCE
En effet, j'ai cru remarquer…

MARJAVEL
Et moi, ça me fait des peurs… Je crois toujours qu'il y a le feu.

HERMANCE
Alors tu vas la congédier ?

MARJAVEL
Non… pas moi… toi…

HERMANCE
Comment ?

MARJAVEL
Affaire d'intérieur… ça te regarde. Ainsi ma première femme… cette bonne Mélanie… dont le portrait est derrière le tien… car je n'ai pas voulu vous séparer…

HERMANCE
(sèchement.)
Merci bien !

MARJAVEL
Oh ! si tu l'avais connue, tu l'aurais aimée… tout le monde l'aimait… Demande à Jobelin, l'oncle d'Ernest… il savait l'apprécier, lui ! Eh bien, quand il y avait un domestique à renvoyer, elle me disait : "Alphonse, est-ce que tu ne vas pas faire un petit tour à ton café?…" Je partais… et, à mon retour, c'était fait.

HERMANCE
C'est bien, je me charge de l'exécution.

MARJAVEL
Après ça, si tu préfères attendre Ernest… il fera ça, lui!

HERMANCE
Non, c'est inutile.

MARJAVEL
Au fait, j'ai un autre service à lui demander.

HERMANCE
Mon ami, si je puis…

MARJAVEL
Non, il s'agit d'une toiture qui a besoin de réparations… Il est jeune… il montera là-haut… ça le promènera.

HERMANCE
Mais c'est très dangereux.

MARJAVEL
Je crois bien ! Je n'y monterais pas pour mille francs ! on me dirait voilà mille francs, je n'y monterais pas.

HERMANCE
Mais alors?…

PETUNIA
(au dehors.)
Oui, tout de suite.

MARJAVEL
Chut!… j'entends Pétunia !… sois ferme! je file!
Il rentre à gauche.


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