Le Père de famille
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ACTE IV - Scène IV

Denis Diderot

ACTE IV - Scène IV


(SAINT-ALBIN, CÉCILE, LE PÈRE DE FAMILLE.)
(Saint-Albin marque d'abord de l'impatience à rapproche de son père ; ensuite il reste immobile.)

Le Père de famille
Tu me fuis, et je ne peux t'abandonner !… Je n'ai plus de fils, et il te reste toujours un père !… Saint-Albin, pourquoi me fuyez-vous ?… Je ne viens pas vous affliger davantage, et exposer mon autorité à de nouveaux mépris… Mon fils, mon ami, tu ne veux pas que je meure de chagrin… Nous sommes seuls. Voici ton père, voilà ta sœur ; elle pleure, et mes larmes attendent les tiennes pour s'y mêler… Que ce moment sera doux, si tu veux !
Vous avez perdu celle que vous aimiez, et vous l'avez perdue par la perfidie d'un homme qui vous est cher.

Saint-Albin (en levant les yeux au ciel avec fureur.)
Ah !

Le Père de famille
Triomphez de vous et de lui ; domptez une passion qui vous dégrade ; montrez-vous digne de moi… Saint-Albin, rendez-moi mon fils. (Saint-Albin s'éloigne ; on voit qu'il voudrait répondre aux sentiments de son père, et qu'il ne le peut pas. Son père se méprend à son action, et dit en le suivant :)
Dieu ! est-ce ainsi qu'on accueille un père ! il s'éloigne de moi… Enfant ingrat, enfant dénaturé ! eh ! où irez-vous que je ne vous suive ?… Partout je vous suivrai ; partout je vous redemanderai mon fils… (Saint-Albin s'éloigne encore, et son père le suit en lui criant avec violence :)
Rends-moi mon fils… Rends-moi mon fils. (Saint-Albin va s'appuyer contre le mur, élevant ses mains et cachant sa tête entre ses bras ; et son père continue :)
Il ne me répond rien ; ma voix n'arrive plus jusqu'à son cœur : une passion insensée l'a fermé. Elle a tout détruit ; il est devenu stupide et féroce. (Il se renverse dans un fauteuil et dit :)
père malheureux ! le ciel m'a frappé. Il me punit dans cet objet de ma faiblesse… j'en mourrai… Cruels enfants ! c'est mon souhait… c'est le vôtre…

Cécile (s'approchant de son père en sanglotant.)
Ah !… ah !…

Le Père de famille
Consolez-vous… vous ne verrez pas longtemps mon chagrin… Je me retirerai… j'irai dans quelque endroit ignoré attendre la fin d'une vie qui vous pèse.

Cécile (avec douleur et saisissant les mains de son père.)
Si vous quittez vos enfants, que voulez-vous qu'ils deviennent ?

Le Père de famille (après un moment de silence.)
Cécile j'avais des vues sur vous… Germeuil… Je disais, en vous regardant tous les deux : Voilà celui qui fera le bonheur de ma fille… elle relèvera la famille de mon ami.

Cécile (surprise.)
Qu'ai-je entendu ?

Saint-Albin (se tournant avec fureur.)
Il aurait épousé ma sœur ! je l'appellerais mon frère ! lui !

Le Père de famille
Tout m'accable à la fois… il n'y faut plus penser.


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